Le pape émérite XVI, lors de la messe de béatification de Paul VI, le 19 octobre 2014 au Vatican. / FILIPPO MONTEFORTE / AFP

Un texte consacré à la crise des violences sexuelles sur mineurs dans l’Eglise, signé par le pape émérite Benoît XVI, publié dans la revue chrétienne allemande Klerusblatt et relayé par des sites conservateurs, a provoqué une onde de choc dans les milieux catholiques, jeudi 11 avril. Car s’il se conclut par des remerciements au pape François (que l’ancien pontife dit avoir « contacté » avant la publication), il propose une analyse de la crise qui est d’abord un gigantesque retour en arrière. Il n’y est plus question ni de crimes, ni de causes systémiques, ni d’abus de conscience et de pouvoir, encore moins de cléricalisme, toutes notions que l’Eglise catholique a, avec plus ou moins d’enthousiasme et sous la pression des affaires, interrogées ces trois dernières années.

Benoît XVI, qui va fêter ses 92 ans dans quelques jours, est crédité d’avoir le premier pris la mesure de l’ampleur du phénomène et, surtout, d’avoir facilité la répression des coupables. Mais dans ce texte, le pape émérite renvoie la cause de la pédocriminalité à « l’absence de Dieu » et au changement dans la morale sexuelle à partir des années 1960. La « révolution de 68 », affirme-t-il, aurait fait de la pédophilie quelque chose de « permis et d’approprié ». « Pourquoi la pédophilie a-t-elle atteint de telles proportions ? En fin de compte, la raison en est l’absence de Dieu », écrit-il. Car « un monde sans Dieu ne peut être qu’un monde dépourvu de sens » et donc « sans notion de bien et de mal ». Mais alors, pourquoi autant de prêtres s’en sont-ils rendus coupables ?

Amalgame entre homosexualité et pédophilie

Le pape émérite allemand accuse un courant de la théologie catholique d’avoir introduit dans l’Eglise une forme de relativisme moral en affirmant qu’il « ne pouvait y avoir quoi que ce soit d’absolument bon, ni quoi que ce soit d’absolument mauvais, mais seulement des appréciations relatives ». Ces théoriciens auraient mis « radicalement en question l’autorité de l’Eglise dans le domaine moral » et provoqué « un effondrement » de son enseignement moral. Il affirme que Jean Paul II avait vertement réagi à cette tendance en 1993 par son encyclique Veritatis Splendor.

Cet affaissement de la moralité dans l’Eglise aurait eu des implications directes dans la formation et la vie des prêtres. Dans certains séminaires, « des cliques homosexuelles » se seraient formées, écrit-il, semblant établir un lien entre homosexualité et pédophilie. Ceux qui étaient surpris en train de lire ses propres livres de théologie étaient sanctionnés, affirme Benoît XVI. La critique de la tradition de l’Eglise a été valorisée, y compris chez les nouveaux évêques.

Cette atmosphère aurait favorisé le développement de la pédocriminalité qui, affirme l’ancien pontife, « est devenue brûlante seulement à partir de la seconde moitié des années 1980 ». Cette affirmation est particulièrement contestable, de nombreuses révélations ayant mis à jour des faits remontant au moins à l’immédiat après-guerre, comme en Irlande par exemple. Le fait est que c’est dans les années 1980 que commencent à émerger les premières affaires d’ampleur, aux Etats-Unis, au Canada et en Irlande. Dans les années 1980 et 1990, reconnaît-il, le droit canonique rend la condamnation des coupables « quasiment impossible ». Avant de succéder à Jean Paul II, le cardinal Ratzinger s’est d’ailleurs battu pour changer ce droit afin de permettre de mettre les coupables hors d’état de nuire.

Réquisitoire contre la réforme de l’Eglise

Benoît XVI se livre aussi à une défense de l’Eglise telle qu’elle est. Il s’en prend à ceux qui prétendent la réformer pour éviter ces abus. Cette crise « pousse à considérer d’emblée l’Eglise comme quelque chose de mal réussi que nous devons résolument prendre nous-mêmes en main et former d’une manière nouvelle, affirme-t-il. Mais une Eglise faite par nous ne peut représenter aucune espérance. » « Il est très important d’opposer aux mensonges et aux demi-vérités du diable toute la vérité : oui, dans l’Eglise, il y a le péché et le mal. Mais aujourd’hui aussi, il y a l’Eglise sainte qui est indestructible. »

Le 5 février, lors d’une conférence de presse, le pape François avait répondu à une question sur les viols de religieuses par des prêtres. Il avait évoqué un cas précis, remonté jusqu’au Vatican sous le pontificat de Jean Paul II, alors que Joseph Ratzinger, le futur Benoît XVI, était préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi, l’organisme chargé de juger des crimes sexuels. François avait raconté que le cardinal Ratzinger n’avait alors pas pu avoir gain de cause pour punir les fautifs. Il en avait profité pour faire l’éloge de son prédécesseur en ces termes : « La légende sur le pape Benoît XVI le fait voir comme très bon, oui, parce qu’il est bon, bon comme le pain ! Mais elle le fait voir aussi comme faible, et en revanche, il n’a rien d’un faible ! Il a été un homme fort, conséquent. » Un mois et demi après le sommet à Rome de tous les présidents de conférences épiscopales sur les violences sexuelles, le texte publié jeudi n’en est que plus étrange.