Des policiers à Paris, le 12 avril. / Francois Mori / AP

Le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, a annoncé vendredi 12 avril la mise en place d’une cellule de vigilance pour prévenir les suicides dans la police, en forte hausse. Avec 24 suicides dans ses rangs depuis le début de l’année, la police fait face à une recrudescence inquiétante des passages à l’acte.

« J’ai mis en place une cellule de vigilance sur la question du suicide que j’installerai dans les 15 jours pour qu’elle anime la réflexion, qu’elle soit disponible, pour qu’un policier, un gendarme, un fonctionnaire du ministère puisse 24 heures sur 24 trouver une oreille attentive et puisse être ensuite accompagné », a déclaré le ministre de l’intérieur. Ce phénomène n’est pas une « fatalité », selon lui, mais année après année le problème demeure, sans que les pouvoirs publics y trouvent une solution durable.

Le « chiffre hors norme » des suicides depuis le début de l’année, concède un responsable de la sécurité publique, fait craindre une « année noire » comme celle qu’avait connue la police en 1996, quand 70 suicides avaient été recensés. Un triste record, pour l’instant jamais égalé.

En 2018, 35 policiers et 33 gendarmes se sont suicidés, selon l’Intérieur. « Depuis vingt ans, le nombre de suicides varie en fonction des années, entre 30 et 60 décès par an », expose une source policière. Entre 2014 et 2016 le nombre de suicides dans la police est ainsi passé de 55 à 36 avant de remonter brusquement à 50 en 2017. La baisse était-elle due au premier plan de prévention du suicide, mis en place par Bernard Cazeneuve, ou à l’intense activité opérationnelle provoquée par la menace terroriste, qui aurait renforcé la cohésion entre policiers et su donner du sens au métier ? La police se perd en conjectures.

Population à risques

En 2019, des collectifs policiers insistent sur la surmobilisation des fonctionnaires dans le cadre du mouvement social des « gilets jaunes » pour expliquer la recrudescence des passages à l’acte. « Bien sûr qu’on s’est posé la question », admet le cadre policier mais, comme d’autres sources, il reste persuadé, sans nier la fatigue des troupes, que le suremploi n’est pas la cause mécanique de cette hausse. « Ce n’est pas corrélé », a déclaré M. Castaner.

Citée par un rapport sénatorial consacré en 2018 au « malaise policier », l’épidémiologiste Gaëlle Encrenaz, coauteure de la principale enquête sur le suicide policier, en 2010, avait estimé qu’« en tenant compte des différences de structure sociodémographique par âge et par sexe (…) le taux de suicide dans la police est supérieur de 36 % à celui de la population générale ».

C’est dans les rangs de la sécurité publique que l’on se suicide le plus. En volume ce sont les gardiens de la paix qui sont les plus touchés, mais en proportion, ce sont les commissaires qui commettent le plus souvent l’irréparable, avancent des sources policières, sans que des données officielles ne soient rendues publiques. Syndicats comme associations de policiers sont ulcérés dès que l’on renvoie le passage à l’acte à des causes purement personnelles.

Sans nier « la complexité et le caractère multifactoriel de l’acte suicidaire », le rapport sénatorial souligne que « les difficultés propres aux forces de sécurité intérieure, comme la proximité avec la mort, les rythmes de travail décalés, ou encore le poids de la hiérarchie, constituent indéniablement des facteurs aggravants qui contribuent à expliquer cette prévalence du suicide en leur sein ».

La délicate question de l’arme

Souvent mise en cause comme un élément facilitant le passage à l’acte, l’arme de service n’est pas un sujet consensuel. En 2015, le plan Cazeneuve prévoyait la généralisation des casiers individuels pour y déposer son arme à la fin du service. Mais les tueries du 13-Novembre et celle de Magnanville, où un couple de policiers avait été assassiné à son domicile, ont rebattu les cartes. Les policiers susceptibles d’intervenir à tout moment pour éviter un attentat ou même se défendre, ont été encouragés à porter leur arme hors service. Lors de son audition devant la commission d’enquête sénatoriale, le patron de la police nationale avait précisé que 60 % des policiers qui se suicidaient utilisaient leur arme de service. « On est pris dans une injonction contradictoire », relève une commissaire.

En janvier 2015, le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve avait présenté une batterie de 23 mesures (recrutement de psychologues, redynamisation des cellules de veille, nouveaux cycles de travail, création d’un référent pour l’accompagnement des personnels, mobilisation de la hiérarchie) pour lutter contre l’hécatombe.

En mai 2018, réagissant encore à une vague de suicides, Gérard Collomb annonçait un nouveau programme approfondissant le plan précédent : accroître la réactivité lorsqu’est détecté un fonctionnaire sur le point de passer l’acte, suivi et accompagnement des policiers présentant des signes de fragilité, par exemple en retour d’arrêt maladie. En 2019, Christophe Castaner appuie sur les mêmes leviers en y ajoutant les créations d’un numéro de téléphone dédié 24h/24 et la « cellule alerte prévention suicide ».