Le président tunisien Béji Caïd Essebsi, lors du congrès du parti Nidaa Tounès, à Monastir, le 6 avril 2019. / FETHI BELAID / AFP

Il y a six ans, lorsque le président Béji Caïd Essebsi avait lancé le parti Nidaa Tounès, beaucoup avaient du mal à se frayer un chemin vers l’entrée de la salle, dans la ville de Monastir. Mais les temps ont bien changé depuis la constitution de cette formation, qui rassemblait de la gauche social-démocrate et libérale aux anciens du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) de Ben Ali.

Cette fois, pas de bousculade les 6 et 7 avril pour le congrès électif du parti. Juste une grande défiance. Bien sûr, on est encore venu entendre le discours de Béji Caïd Essebsi, mais ce n’est plus avec la ferveur qui a longtemps unifié la classe politique autour d’une cause commune : gagner contre le parti Ennahda en votant « utile » pour « faire barrage aux islamistes ».

Et pourtant, ce congrès électif devait refonder Nidaa Tounès, le parti tourmenté par des conflits internes et des démissions à la chaîne depuis trois ans. « Le congrès de 2016 avait été un congrès du compromis. Aujourd’hui, nous avons la vraie chance d’un nouveau départ avec ces élections », insiste Wafa Makhlouf, députée et membre du parti. Elle faisait référence au précédent congrès avorté lorsque le fils du président, Hafedh Caïd Essebsi, avait pris les rênes du parti.

Premières querelles

« Il faut que l’on regagne la confiance des électeurs. C’est vrai que nous avons perdu notre popularité à cause de tous nos problèmes internes, mais nous assumons », avance Ayoub Zeramdini, jeune membre de Nidaa Tounès. Sur les 80 000 adhérents que revendique le parti, 600 candidatures ont été présentées pour composer le nouveau comité central de 217 membres et le bureau politique.

Jeudi 11 avril, le scénario de 2016 était parti pour se répéter. Si les noms des 217 élus ont bien été dévoilés, les premières querelles autour du bureau politique ont court-circuité le reste du processus. Une seule liste a été présentée pour composer le bureau politique. Elle comprend d’ailleurs certains membres qui ne respectent pas les critères d’éligibilité – avoir au moins six ans au sein du parti et avoir eu un poste de responsabilité régionale.

D’ailleurs, une partie des congressistes a déposé des recours, mais ces problèmes ne sont que la continuité de ceux qui ont précédé le congrès. « Nous voulons poursuivre de façon démocratique, nous nous battons pour avoir un bureau politique qui soit légitimement élu. Mais, là, il s’agit vraiment de guerres de lobbys au sein du parti et de gens qui veulent passer en force », témoignait Ayoub Zaramdini.

Samedi 6 avril, même l’auditoire venu écouter le discours du président de la République à l’ouverture du congrès doutait de l’avenir du parti. « Je suis venu voir ce qu’il reste et voir aussi si le congrès réussit à élire des hommes nouveaux avec des élections honnêtes », déclare Hafedh Hassairi, un homme d’affaires de Sfax. Il regarde Béji Caïd Essebsi prendre la parole sur l’estrade.

L’aura du père fondateur

A 92 ans, l’homme parvient encore, dans un discours de quarante minutes, à capter son auditoire, lançant des piques à Ennahda et décochant quelques-uns de ses traits d’esprit qui signent depuis des années sa marque de fabrique. « Le but, après ce congrès, n’est pas seulement d’élire de nouveaux membres, mais de revenir aux origines et à nos responsabilités pour sortir le pays de sa précarité économique », déclare-t-il. A ses pieds, son fils Hafedh Caïd Essebsi, directeur exécutif du parti, écoute attentivement.

En 2018, ses désaccords et confrontations publiques avec le chef du gouvernement Youssef Chahed ont encore fragilisé Nidaa Tounès. Des dissidents se sont même engouffrés dans la brèche entre les deux hommes et ont créé Tahya Tounès, un nouveau parti se revendiquant de Youssef Chahed.

Un homme très courtisé puisque le chef de l’Etat a même appelé jeudi à son retour au sein du parti, avant de conclure qu’il ne se représenterait pas à l’élection présidentielle. Une déception pour l’audience car, sans l’aura du père fondateur, l’avenir du parti semble compromis. « Il faudra un autre homme fort, que ce soit à la tête du parti ou comme candidat à la présidentielle », commentait Hafedh Hassairi, en marge du congrès.

Tiraillements

Mais le parti risque d’avoir besoin de bien plus qu’un changement de tête pour faire face aux prochaines élections législatives et présidentielle de 2019. Dans un sondage de l’agence Sigma Conseil, publié durant le week-end, Nidaa Tounès est crédité de 16,3 % des intentions de vote, derrière Ennahda qui en recueille 24,3 %.

Même dans son fief, à Monastir, Nidaa Tounès était arrivé au coude-à-coude avec Ennahda aux élections municipales de 2018. Le parti a inclus, durant le week-end, une clause dans sa motion politique, interdisant l’alliance avec un parti à tendance religieuse. Mais il cultive l’ambiguïté sur la possibilité d’une collaboration avec Ennahda en vue de gagner les élections. Début mars, Hafedh Caïd Essebssi avait d’ailleurs rencontré le leader d’Ennahda, Rached Ghannouchi.

Aujourd’hui, le parti Nidaa Tounès semble être pris entre plusieurs tiraillements : la volonté de reconstruire une crédibilité et de s’ouvrir à tous, sans réellement arriver à mettre en place, en interne, un fonctionnement démocratique ou à trouver un consensus.