Julian Assange, après son arrestation, à Londres, le 11 avril. / HENRY NICHOLLS / REUTERS

Editorial du « Monde ». Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks, a été arrêté, jeudi 11 avril, par la police britannique dans l’ambassade d’Equateur à Londres, où il était réfugié depuis près de sept ans. Cette arrestation a deux causes : avoir enfreint, en 2012, sa liberté conditionnelle (il risque un an de prison au Royaume-Uni), et être visé par une demande d’extradition américaine pour avoir aidé un analyste militaire à obtenir des documents gouvernementaux confidentiels (il risque cinq ans de prison aux Etats-Unis).

Avant d’évoquer le sort des « lanceurs d’alerte » en lutte contre les secrets d’Etat, il faut préciser deux évidences. Premièrement, Julian Assange est un justiciable comme les autres. Ses démêlés avec la police ont commencé parce qu’il a refusé de se rendre à une convocation de la police suédoise qui souhaitait l’entendre après les plaintes de deux femmes pour agression sexuelle, au motif fantaisiste, à l’époque, qu’il craignait que la Suède ne le livre à la CIA. Il a eu tort de refuser de s’expliquer sur ces graves accusations.

Deuxièmement, Julian Assange n’est pas un ami des droits de l’homme. Lorsqu’il a approché, en 2010, cinq journaux, dont Le Monde, pour explorer le contenu de documents militaires et diplomatiques américains, l’accord était clair : WikiLeaks devait accepter la politique de ces cinq médias en matière d’éthique, notamment de protection des sources. Les documents publiés furent expurgés des identités sensibles de personnes vivant dans des pays totalitaires et pouvant être mises en danger. L’année suivante, M. Assange est revenu sur sa parole et a publié les documents, sans filtre, dans leur intégralité. Le Monde a dénoncé ce procédé ; d’autres médias, en revanche, ont continué à le soutenir. La réalité est qu’il a, ce jour-là, quitté le monde des défenseurs des droits humains pour rejoindre celui des absolutistes de la transparence, faisant, au passage, un cadeau aux pires services de sécurité de la planète.

Ce qu’il s’est passé ensuite avec Julian Assange est complexe, mais il en ressort une ligne directrice : le militant antiaméricain s’attaque aux secrets des pays démocratiques, et rarement à ceux de pays totalitaires. Il a travaillé pour Russia Today, la télévision pro-Poutine financée par le Kremlin. Et il a utilisé WikiLeaks, durant la campagne présidentielle américaine de 2016, comme diffuseur de documents subtilisés par les services secrets russes au Parti démocrate et à sa candidate, Hillary Clinton, dans le but de la discréditer. Il a, ce faisant, comme Moscou, aidé Donald Trump à remporter l’élection.

Le problème, avec l’inculpation américaine, est qu’elle vise à se venger de la divulgation de documents en 2010, alors que celle-ci relevait de la publication d’informations d’intérêt public. L’administration Obama avait refusé de franchir ce pas, ses juristes y voyant une atteinte au premier amendement de la Constitution, garantissant la liberté d’expression. C’est ce pas que l’administration Trump a franchi.

Outre que le pari de M. Assange de miser sur M. Trump pour alléger les menaces judiciaires pesant sur lui s’est révélé inutile, le fond de l’affaire inquiète les défenseurs de la liberté d’expression. L’inculpation est pour le moment limitée au fait d’avoir aidé sa source, l’analyste militaire Bradley Manning – devenu Chelsea durant sa détention –, à avoir piraté un ordinateur du gouvernement : c’est donc Assange le hackeur qui serait visé, et cela pose déjà question. Mais, si l’inculpation devait être étendue à la publication d’informations d’intérêt public, ce serait alors la liberté d’informer qui deviendrait la cible. Ce ne serait pas acceptable.

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