Le maire de South Bend (Indiana), Pete Buttigieg, le 16 février 2019. / Charles Krupa / AP

Des sondages flatteurs, des collectes de fonds surprenantes : Pete Buttigieg ne cesse de surprendre. Le jeune élu, qui a annoncé officiellement dimanche 14 avril sa candidature à la course à l’investiture démocrate pour la présidentielle américaine de 2020, est devenu la première sensation de ce marathon qui s’achèvera dans un peu plus d’un an. Maire d’une ville modeste de l’Indiana, South Bend, plus jeune qu’aucun autre candidat avant lui depuis longtemps, second homosexuel revendiqué à afficher cette ambition depuis le républicain Fred Karger en 2012, cet élu de 37 ans né d’un père maltais ne part pourtant pas avec les meilleurs atouts. Sans parler de la prononciation d’un patronyme difficile : « boot-edge-edge » selon l’intéressé, ou « buddha-judge » selon son mari, Chasten, épousé en 2018.

L’annonce de la création d’un comité exploratoire en vue d’une candidature, le 23 janvier, n’avait rencontré qu’une franche indifférence. Sa prestation à l’équivalent une réunion de préau télévisée, un town hall, sur la chaîne CNN, le 11 mars, a en revanche aiguisé la curiosité. Expression claire, empathie, compétence : Pete Buttigieg crève l’écran ce soir-là. « J’ai rarement vu un candidat faire un meilleur usage » de ce type d’émission, réagit sur Twitter l’ancien conseiller politique de Barack Obama, David Axelrod. La maigre équipe de campagne du maire croule sous 600 000 dollars de dons dans les heures qui suivent.

Polyglotte maîtrisant huit langues

Douze jours plus tard, en Caroline du Sud, Pete Buttigieg fait à nouveau sensation en répondant dans sa langue à un journaliste norvégien. Un apprentissage motivé par le goût d’un écrivain non traduit en anglais. Le public politique américain découvre alors un quasi-phénomène de foire maîtrisant également le français, l’espagnol, l’italien, le maltais, le dari et l’arabe, diplômé d’Harvard et d’Oxford, ancien combattant en Afghanistan, pianiste émérite, et qui explique sur Twitter sa passion pour le roman souvent jugé hermétique Ulysses de James Joyce.

Depuis, Pete Buttigieg est parvenu à s’extraire du marais dans lequel se sont déjà enlisés nombre de candidats pourtant a priori mieux placés que lui, notamment d’actuels ou anciens gouverneurs, mais aussi des sénatrices et des sénateurs. Au cours du premier trimestre de cette année, il a réussi à collecter 7 millions de dollars, ce qui lui permet de rester dans la course. Et son autobiographie (Shortest Way Home, Liveright, non traduit) est déjà un best-seller.

Un sondage l’a même donné en troisième position dans l’Iowa, premier Etat à se prononcer, dans dix mois, ce qui n’a évidemment aucune valeur prédictive. Il figure en septième position et en progression dans la moyenne des intentions de vote démocrates réalisée par le site RealClearPolitics. Il est distancé par l’ancien vice-président Joe Biden, le sénateur indépendant Bernie Sanders, les sénatrices Kamala Harris et Elizabeth Warren, l’ancien représentant Beto O’Rourke, et talonne le sénateur Cory Booker.

Prudence sur son programme

Alors que le Parti démocrate est tiraillé entre son aile pragmatique et son aile gauche, le maire de South Bend refuse pour l’instant de dévoiler ses positions sur les sujets les plus brûlants comme la fiscalité ou la protection sociale. « Je pense que n’importe qui dans cette course sera beaucoup plus précis que l’actuel président, mais je ne pense pas que tout doit être fixé dès le premier jour », s’est-il justifié dans un entretien à Vice. Une prudence qui lui a déjà valu les attaques du magazine de gauche Current Affairs comme des animateurs de la chaîne de télévision progressiste The Young Turks.

Pete Buttigieg se montre, en revanche, plus offensif sur un terrain inattendu pour un démocrate, celui de la foi. Il procure à cet épiscopalien, fidèle d’une Eglise qui compte parmi les plus tolérantes du protestantisme anglican, un angle d’attaque contre l’ancien gouverneur de son Etat devenu vice-président, Mike Pence, qui porte ses convictions évangéliques radicales en sautoir. Il témoigne également de son souci de s’adresser à un électorat blanc taraudé par une crise identitaire.

Son expérience dans une ville qui fut le berceau naguère d’un fleuron de l’automobile, Studebaker, aujourd’hui disparu, est un atout alors que la victoire d’un démocrate en 2020 passera nécessairement par les vieux Etats industriels de la Rust Belt. Il a d’ailleurs choisi les hangars abandonnés de la marque, dimanche, comme cadre de sa déclaration de candidature.

L’état de grâce surtout médiatique dont bénéficie Pete Buttigieg n’est cependant pas voué à durer. L’élu profite sans doute pour l’instant du fait que la course à l’investiture n’est pas encore franchement lancée, notamment compte tenu de l’indécision que continue d’entretenir Joe Biden à propos de son éventuelle candidature. Les levées de fonds ont d’ailleurs été plus faibles au premier trimestre qu’à la même période de la course à l’investiture pour la présidentielle de 2008, comme si la majorité des démocrates attendait d’y voir plus clair avant de s’engager derrière un candidat.