A New York, un gigantesque trône de fer annonce l’arrivée de l’ultime saison de « Game of Thrones ». / CAITLIN OCHS / REUTERS

Billet. Je n’aime pas Game of Thrones. Son ambiance pompière, ses intrigues à la Santa Barbara, ses longueurs, cet air d’aller nulle part tout en se perdant partout, avec le téléspectateur au passage.

Ne vous méprenez pas. Je n’ai rien contre l’heroic fantasy : j’ai passé des heures dans les jeux vidéo The Witcher III et Dark Souls. Rien non plus contre les grandes manigances géopolitiques, comme mon plateau usé de Risk en témoigne. Et je sais apprécier une série populaire – Friends, Breaking Bad, ou encore Stranger Things ne m’ont jamais autant irrité que les aventures de la famille Stark. C’est comme ça, je n’aime pas Game of Thrones.

L’hiver en grève

A cela, je vois quatre raisons. La première, c’est qu’elle me doit du temps. Très exactement soixante-deux heures de ma vie, passées à regarder un prisonnier manger sa quéquette ; un frère et sa sœur, s’envoyer en l’air ; et un conseiller royal à la carrière fluctuante, noyer son désarroi dans des hectolitres de Châteauneuf-Westeros Village. Et encore. Ce sont les meilleurs moments, ceux durant lesquels la série daigne s’extirper de son quotidien baillant d’écomusée en costumes, où le moindre événement prend une éternité.

Cela fait depuis le 17 avril 2011 que Daenerys Targaryen marche vers l’ouest avec sa troupe, sept saisons lui ont été nécessaires pour sortir du désert, qui est son point de départ. Pardon de l’enfoncer, mais en sept ans, on a inventé Uberpool, la trottinette électrique et l’hovercraft. Et puis zut, quoi, elle est la mother queen of dragons : elle ne pouvait pas enfourcher un de ses reptiles ?

Toute la série est un hold-up dont le larcin se compte en années. Jusqu’à son concept même : cela fait désormais huit printemps qu’on nous promet que l’hiver arrive. Ça en fait, des cerisiers qui se tournent les pouces en attendant le Roi de la nuit et sa troupe de Pokémon Glace/Ténèbre. A ce rythme, le Brexit sera résolu avant.

Adieux à la pelle

Game of Thrones a également fait de moi un téléspectateur veuf, orphelin. Il ne me suffisait pas de m’accrocher pour tenter de rentrer dans ce phénomène-de-société-télévisuel-historique-gnagnagna que tout le monde me survendait. Il a fallu en plus que chacun de mes personnages préférés passe à la trappe. Ned Stark, Khal Drogo, Ygritte, Oberyn Martell : je vous pleure chaque jour que le soleil fait.

Certains diront que c’est toute la puissance de cette série, cet art perpétuel du contre-pied, cette manie d’occire la tête aux premiers rôles les plus appréciés, pour laisser l’intrigue en deuil et le fan dans l’embarras, à moins que ce ne soit l’inverse. Mais pense-t-on vraiment à terminer avec brio un récit aussi ample et ambitieux avec le fond de casserole du casting ?

Game of Thrones est le Paris-Saint-Germain de l’audiovisuel : un budget faramineux, des têtes d’affiche fabuleuses, et un talent inné pour les gâcher. Ce serait comme viser la Ligue des champions avec Neymar, et finir la saison avec l’affable mais très maladroit Choupo-Moting en pointe. Oui, Jon Snow, c’est de toi que je parle.

Amour, gloire et dragons

Et puis, cette réalisation ! Game of Thrones a longtemps été l’équivalent moderne d’Amour, gloire et beauté, avec ces mêmes alternances plates de champ-contrechamp, de jeu d’acteurs statique, de jeux de lumières un peu grossiers. Et, certes, davantage de budget, et quelques dragons par-ci par-là, pour les amateurs de grosses écailles.

Dernièrement, elle s’est plutôt convertie en superproduction pompière, et les deux derniers épisodes de la saison 7 ont battu des records de casting de barbus. Le son coupé, il devient de plus en plus difficile de distinguer les batailles de Game of Thrones d’un pogo géant au Hellfest un jour de neige. Le son allumé aussi, du reste.

Pire, le développement du scénario évoque celui de Lost, et c’est rarement un compliment : la seconde moitié de la série consiste à contredire la première, ou bien à s’en débarrasser. Le montage alterné entre personnages, l’ordre des régions visitées, la longueur des épisodes, leur nombre par saison, les échelles de temps et d’espace… Rien n’y aura été cohérent d’un bout à l’autre. (Et tout bon druide sait que personne n’est plus regardant en matière de cohérence qu’un fan d’heroic fantasy).

Ce qui peut être sauvé

On objectera, sans doute à raison, que la série de HBO est un objet télévisuel unique, adaptation d’un roman dont l’écriture n’avance pas, ou pas aussi vite que les tournages eux-mêmes. Cas rare d’une œuvre qui aura débuté par une première ligne et se clôturera par un dernier plan.

Qu’en reste-t-il ? Des moments forts, indubitablement. Un mariage sanglant, qui a scellé l’âme scorcesienne de cette série prompte à louvoyer pour soudain foudroyer la rétine d’images de déchaînement de violence. Un épisode mémorable, « La porte », centré sur le mutique Hodor. Des paysages sublimes, qui ont relancé presque à eux seuls le tourisme en Croatie (c’est du moins ce que m’a dit un douanier). Et des répliques cultes, comme « Tu ne sais rien, Jon Snow » et « Un Lannister paye toujours ses dettes », très utile au quotidien à la machine à café.

Et puis, voyons le verre à moitié plein : il reste encore quelques protagonistes fascinants, tels la surpuissante Brienne, l’inclassable Tyrion, et surtout l’imprévisible Arya. Mais je te préviens, Game of Thrones. Touche un seul cheveu d’Arya, et je te le promets, cette fois, je suis sérieux : je te détesterai vraiment.