« Quelle place voulons-nous bâtir et garantir demain pour nos enfants, face aux blocs Russie-Chine-Etats-Unis ? Seul le vote démocratique pour une Europe unie pourra en décider. » / Jacques Loic / Photononstop

Tribune. Dans un peu plus d’un mois se dérouleront les élections européennes. Le moins que l’on puisse dire est qu’elles se présentent au plus mal. Depuis le début des années 2000, ces élections ont lieu dans un climat d’indifférence croissant, traduit par un taux d’abstention toujours supérieur à 50 % (56,5 % en 2014). Plus inquiétant : seuls 40 % de nos concitoyens déclarent faire confiance au Parlement Européen, contre 60 % en Allemagne et, chiffre incroyable si l’on pense que les premières élections ont eu lieu en 1979, seulement 45 % des Français savent que les parlementaires européens sont élus directement par les citoyens des états membres (Eurobaromètre, décembre 2018).

Les élections auront lieu le 26 mai : il est encore trop tôt pour prévoir le taux de participation. Les signaux sont toutefois tous au rouge. Le 20e anniversaire de la naissance de l’Euro le 1er janvier s’est effectué dans une totale indifférence. Les problèmes soulevés par les « gilets jaunes » s’inscrivent dans une vision hexagonale et de repli identitaire, fort éloignée des enjeux européens. Alors même que les consultations citoyennes sur l’Europe tenues d’avril à octobre 2018 ont révélé une forte attente « d’incarnation », les partis politiques traditionnels se dirigent vers une répétition des mêmes erreurs du passé.

On désigne des personnalités classées comme de second rang, à écarter de la scène nationale, des transfuges d’autres mouvements qu’on espère ainsi rallier, des fidèles du parti à récompenser par ce qui apparaît comme une sinécure, « entraînés » par des têtes de listes totalement inconnues du grand public. Un second danger, moins apparent mais hautement probable, se dessine : un vote où les programmes électoraux pour l’Europe n’entreront absolument plus en considération. Ce serait une terrible première !

Les risques d’un exutoire national

Certes, les élections européennes, perçues comme de moindre enjeu direct, ont toujours été un exutoire au mécontentement des électeurs envers leur personnel politique national. Le phénomène risque d’être à son paroxysme en mai, puisque plusieurs responsables politiques ont déjà annoncé leur intention de focaliser les débats sur la situation française, voire pour certains, d’en faire un référendum anti-Macron, c’est-à-dire de vider de sens cette consultation.

Ne nous trompons pas de combat. Les élections européennes ne peuvent être la caisse de résonance des névroses nationales et moins encore leur thérapie. La mise en danger actuelle de l’Union européenne appelle à une l’urgence. Des personnalités remarquables comme Jean Monnet et Robert Schuman ou plus récemment Simone Veil et Jacques Delors ont rêvé et construit une vision politique pour notre Europe. Celle-ci est plus que jamais menacée par les états populistes qui ne rêvent que de sa dislocation au seul bénéfice de petits profits économiques ou électoralistes immédiats.

Entre les menaces diffuses à l’Est et le sentiment d’un chaos généralisé à l’Ouest et peut-être bientôt Outre-Manche, seule la dimension de l’Europe peut nous permettre d’affronter les nouveaux défis stratégiques apparus ces dernières années. Immigration et identité européenne, transition énergétique et climat, déficits publics et pouvoir d’achat, défense européenne et sécurité nationale, la France peut-elle sérieusement agir seule ?

Aborder les enjeux mondiaux

Les consultations citoyennes ont révélé en 2018 un formidable intérêt pour les affaires européennes et un nombre impressionnant de propositions en ont été issues. Les politiques ont leur rôle à jouer dans la prise en compte de cette expression collective. Les Français doivent également être convaincus que la défense des intérêts de la France passe prioritairement par l’élection de représentants pleinement au fait des enjeux européens, capables de siéger à temps plein et sans autre ambition que de défendre leurs intérêts

Il y a mieux à faire que des effets de manche ou de tribune généralement adossés à un absentéisme parlementaire choquant. Ne kidnappons pas les élections européennes pour les ramener vers les débats de nos prés carrés nationaux et nos méthodes archaïques. Profitons au contraire de cette prise de hauteur impérative pour aborder les enjeux mondiaux avec un visage, une voix et une force enfin fédérés.

Le « concert des nations » a eu son heure au XXe siècle, avec son long cortège de désastres. Quelle place voulons-nous bâtir et garantir demain pour nos enfants, face aux blocs Russie-Chine-Etats-Unis ? Seul le vote démocratique pour une Europe unie pourra en décider.

Thierry Libaert est conseiller au Comité Economique et Social Européen et membre du Comité d’Orientation des Consultations Citoyennes pour l’Europe.