La cuvée 2019 du prestigieux prix Pulitzer a pris, lundi 15 avril, une tonalité résolument militante avec deux enquêtes journalistiques sur Donald Trump, toutes deux défavorables au président, et une récompense pour les deux reporters de l’agence Reuters emprisonnés en Birmanie. L’enquête du New York Times évoquait comment l’ancien promoteur avait bâti sa fortune, quand celle du Wall Street Journal a révélé l’existence de versements pour acheter le silence de deux anciennes maîtresses supposées de Donald Trump.

Récompensés dans la catégorie « journalisme explicatif », David Barstow, Susanne Craig et Russ Buettner, du New York Times, étaient partis des affirmations récurrentes du président des Etats-Unis selon lesquelles il s’était fait tout seul. Après plus d’un an d’enquête, ils ont affirmé, début octobre, que Donald Trump avait en réalité reçu de son père, sur plusieurs années, l’équivalent de 413 millions de dollars d’aujourd’hui. Des fonds qui auraient, pour partie, été transférés par le biais d’une société écran, ce qui leur aurait permis d’échapper à l’impôt. L’enquête, « à charge » selon Donald Trump, avait été balayée par le président républicain, qui avait qualifié son contenu d’« ennuyeux » et « déjà vu ». Elle a néanmoins débouché sur l’ouverture d’une enquête par l’administration fiscale de l’Etat de New-York, dont les conclusions ne sont pas connues.

Le prix attribué au Wall Street Journal, dans la catégorie « journalisme national », ne l’a pas été pour une enquête mais pour une série d’articles. Début janvier 2018, le quotidien financier avait été le premier à rapporter l’existence d’une liaison supposée entre Donald Trump et l’actrice de films pornographiques Stephanie Clifford, alias Stormy Daniels.

« Ennemi du peuple »

En novembre 2016, il avait déjà publié le scoop du versement de 150 000 dollars que le groupe de presse American Media Inc (AMI), éditeur de l’hebdomadaire à scandale National Enquirer, avait fait à une ancienne playmate, Karen McDougal, pour les droits du récit de son aventure supposée avec le futur président des Etats-Unis. Allié, à l’époque, de Donald Trump, AMI avait en réalité l’intention d’enterrer l’histoire, selon plusieurs médias américains. Donald Trump a toujours nié l’existence de ces liaisons. Mais son ancien avocat et homme de confiance, Michael Cohen, a affirmé sous serment que le milliardaire n’ignorait rien des paiements qu’il avait effectués en son nom.

Dans une référence à peine voilée au président, l’administratrice des prix Pulitzer, Dana Canedy, a regretté lors de l’annonce de l’attribution du prix que « certains avilissent la presse en la présentant comme l’ennemie de la démocratie au service de laquelle elle œuvre ». Donald Trump a régulièrement qualifié les médias grand public d’« ennemi du peuple », les accusant de propager de fausses informations ou de chercher systématiquement à le discréditer.

Outre ces prix, le jury du plus prestigieux prix de journalisme aux Etats-Unis a notamment honoré, dans la catégorie « actualité » (« breaking news ») la rédaction du quotidien Pittsburgh Post-Gazette pour sa couverture de la tuerie de la synagogue Tree of Life, qui a fait onze morts le 27 octobre.

Il a également récompensé, dans la catégorie « internationale », les journalistes de l’agence Reuters Kyaw Soe Oo et Wa Lone, condamnés à sept ans de prison en Birmanie, pour leur couverture des persécutions des musulmans rohingya.

Hors catégorie, les dix-huit membres du jury ont décerné une mention spéciale à la rédaction du Capital Gazette, dont cinq membres ont perdu la vie, le 28 juin, sous les balles d’un homme qui en voulait au quotidien d’avoir publié un article sur lui. « Il y a de l’espoir », a dit Dana Canedy, malgré les menaces et les intimidations qui pèsent aujourd’hui sur les journalistes dans de nombreux pays du monde. « Bien sûr que la presse perdurera parce que, comme le savaient les Pères fondateurs [des Etats-Unis], sans elle, il n’y a pas de démocratie. »