Emmanuel Macron se rend à Notre-Dame, le 16 avril. / JULIEN MUGUET POUR "LE MONDE"

Souvent, Emmanuel Macron a revendiqué le « sens du tragique » qui l’habite. « Je ne suis pas fait pour diriger par temps calme, (…) je suis fait pour les tempêtes », avait-il confié à l’automne 2017 à l’écrivain Emmanuel Carrère, qui l’avait suivi durant une semaine, de son déplacement sur l’île de Saint-Martin dévastée par l’ouragan Irma à son voyage en Grèce au cours duquel il avait prononcé un discours sur l’Europe devant l’Acropole. Lundi 15 avril, au soir, le « tragique » a une nouvelle fois traversé la route du chef de l’Etat, avec ces flammes qui ont ravagé Notre-Dame-de-Paris. Un événement imprévisible qui est venu chambouler une des semaines les plus cruciales du quinquennat.

Un contenu de cette page n'est pas adapté au format mobile, vous pouvez le consulter sur le site web

Il était 19 heures quand Emmanuel Macron a été informé de l’incendie de la cathédrale. Il venait de terminer l’enregistrement de l’allocution solennelle, qui devait être diffusée une heure plus tard sur toutes les chaînes de télévision. « Serein », à en croire son entourage, le président y livrait ses réponses aux « gilets jaunes » après le grand débat lancé le 15 janvier. Cette prise de parole avait été préparée minutieusement.

Confronté à une contestation sociale inédite depuis l’automne dernier, Emmanuel Macron sait qu’il n’a pas le droit à l’erreur. Pour le chef de l’Etat, cette « adresse aux Français » devait être la première étape de l’acte II du quinquennat. Un nouveau départ censé lui permettre de repartir à l’offensive après des mois de crise. Qu’il soit « déceptif », comme le redoutaient plusieurs membres du gouvernement, et c’est l’impuissance qui le guette.

Face aux images et après avoir fait le point avec le secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’intérieur, Laurent Nunez, sur les lieux – en déplacement à Mayotte, le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, a pris un avion dans la nuit –, le chef de l’Etat n’a pas hésité. « En raison du terrible incendie qui ravage Notre-Dame de Paris, le président de la République a décidé de reporter son allocution », faisait savoir l’Elysée à 19 h 40. A ce moment-là, la flèche de la cathédrale n’était pas encore tombée, mais sa chute paraissait inévitable. A 19 h 53, elle s’effondrait.

« Ce que notre histoire mérite »

Vingt minutes plus tard, Emmanuel Macron et son épouse Brigitte s’engouffraient dans une voiture pour se rendre à la Préfecture de police de Paris et y faire le point avec les responsables des sapeurs-pompiers de la capitale. La maire de Paris, Anne Hidalgo, et le premier ministre, Edouard Philippe, s’étaient également rendus sur les lieux, comme plusieurs ministres, dont Bruno Le Maire (économie), Franck Riester (culture) ou Florence Parly (défense), ainsi que le président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand.

Le président est ensuite reparti vers l’Elysée, où il a tenu une réunion avec sa garde rapprochée, dont Alexis Kohler, le secrétaire général de l’Elysée, avant de revenir sur l’île de la Cité aux alentours de 23 h 30. Après que l’archevêque de Paris, Michel Aupetit, a prononcé quelques mots, le chef de l’Etat a, à son tour, pris la parole sur le parvis de la cathédrale dévastée. « Nous la rebâtirons tous ensemble », a promis Emmanuel Macron, visiblement ému, avant d’annoncer le lancement d’une souscription nationale dès le mardi.

« Nous ferons appel aux plus grands talents, a-t-il poursuivi, parce que c’est ce que les Français attendent, parce que c’est ce que notre histoire mérite, parce que c’est notre destin profond. »

« Réinventer un schéma »

Mardi matin, l’Elysée n’avait pas encore décidé quand et comment Emmanuel Macron ferait les annonces décalées lundi soir. « Une chose est sûre, fait-on savoir à l’Elysée, l’allocution que le président a mise en boîte hier soir ne sera pas diffusée. » De fait, on imagine mal le chef de l’Etat s’adresser aux Français sans faire la moindre allusion au drame qui n’avait pas encore eu lieu quand l’enregistrement a été réalisé.

De manière générale, c’est l’ensemble de la séquence de communication, telle qu’elle avait été conçue pour la sortie du grand débat, qui est aujourd’hui compromise. Après son allocution télévisée, Emmanuel Macron devait se livrer à une séance de questions-réponses avec les journalistes, lors d’une conférence de presse mercredi, la première en l’occurrence depuis son élection. La première étape devait lui permettre de donner le sens de son action, la seconde de rentrer dans le détail de ses projets. « Tout est aujourd’hui remis en cause », admet-on dans son entourage. « Il faut réinventer un schéma », juge un proche.

Tout le week-end, Emmanuel Macron a consulté et mis la touche finale à son plan de sortie de crise. Ces dernières semaines, plusieurs pistes ont été évoquées, comme la réindexation des retraites sur l’inflation ou la baisse de l’impôt sur le revenu, destinées à soutenir le pouvoir d’achat des Français, l’une des principales revendications des « gilets jaunes ». Le chef de l’Etat a aussi évoqué, au cours de ses déplacements dans les régions, un nouvel acte de décentralisation, l’aménagement du référendum d’initiative partagée, la réforme de l’administration ou encore des mesures pour favoriser une démocratie plus participative. Dimanche soir, les derniers arbitrages avaient été rendus et le chef de l’Etat a réuni plusieurs ministres pour leur en faire part.