L’avis du « Monde » – à voir/on peut éviter

Si l’on s’en tient à ce que l’on voit à l’écran, Alpha. The Right to Kill est un honnête film noir, qui met aux prises un policier corrompu et son indicateur, impliqués dans un trafic de stupéfiants. Son auteur, Brillante Mendoza, met au service du genre sa manière singulière de filmer sa ville, Manille. La caméra instable suit pas à pas policiers et dealeurs dans la lumière orangée de la nuit. Dans ce dédale d’habitations précaires, d’églises et de bâtiments administratifs, les acteurs professionnels ne se distinguent plus de la foule.

Brillante Mendoza a filmé Alpha alors que son pays, les Philippines, entrait dans la deuxième année de la campagne d’extermination menée contre les « trafiquants de drogue » par le président Rodrigo Duterte, élu en 2016. Les exécutions extrajudiciaires perpétrées par des escadrons de la mort issus des forces de l’ordre ont fait des milliers de victimes, 7 000 selon le gouvernement, plus du double selon les organisations de défense des droits de l’homme.

De cette vague de terreur, Brillante Mendoza fait une guerre dans laquelle on ne peut plus distinguer les bons des méchants

De cette vague de terreur, Mendoza fait une guerre dans laquelle on ne peut plus distinguer les bons des méchants. Comme dans sa série Amo, disponible sur Netflix depuis l’été 2018, le cinéaste escamote un pan de la réalité, tout en dévoilant assez de turpitudes pour espérer qu’on le croie lucide. Moises Espino (Allen Dizon, qui tient un rôle de policier dans Amo) est responsable de la lutte contre le trafic de méthamphétamine dans un quartier populaire. Il a recruté Elijah (Elijah Filamor), petit dealeur qui balaie désormais le commissariat quand il n’infiltre pas les gangs locaux. Moises mène une vie rangée, assistant aux réunions de parents d’élèves, à la messe dominicale, avec son épouse et ses deux fillettes. Elijah vit dans un taudis, sans avoir toujours les moyens de nourrir sa compagne et son bébé.

Comme dans Ma’Rosa, tourné avant l’élection de Rodrigo Duterte, présenté à Cannes en 2016, Mendoza montre une société dont le déterminant suprême est le trafic : on en profite, on consomme, on en est la victime collatérale. Impossible de faire un pas sans tomber sur un barrage de police, les jeunes gens sont raflés et publiquement humiliés.

Du côté de la force

Alors que Ma’Rosa s’en tenait au point de vue d’une famille prise au piège de la pauvreté, Alpha. The Right to Kill passe du côté de la force : le film s’ouvre par un raid dans le repaire d’un dealeur. Les trafiquants sont armés comme pour la guerre, les policiers aussi. Une fois l’opération terminée, on relève dix cadavres, ceux d’hommes pris les armes à la main. S’adressant à la presse qui lui demande si les droits de l’homme ont été respectés, le supérieur hiérarchique de Moises Espino répond que les forces de l’ordre ont tiré pour se défendre.

Et lorsque, à la fin du film (vous n’êtes pas forcé de lire ce qui suit), on verra surgir des tueurs à moto, le visage dissimulé, ils auront pour cible un homme puissant et corrompu. Ce modus operandi est celui des escadrons de la mort, encouragés, voire organisés, par l’actuel président. Il vise avant tout des jeunes gens issus de familles pauvres. Brillante Mendoza en fait le bras armé d’une justice qui s’en prend aux puissants.

Il ne reste qu’à décider si cette prise de position implicite constitue un obstacle insurmontable à la vision d’Alpha. The Right to Kill. Si l’on répond par la négative, le film n’est pas dépourvu d’intérêt, que ce soit à travers son attention au détail dans la description du commerce des stupéfiants ou à travers sa peinture de la relation quasiment sadomasochiste qui unit le policier corrompu à son indicateur.

Film philippin de Brillante Mendoza. Avec Allen Dizon, Elijah Filamor (1 h 34). Sur le Web : www.new-story.eu/films/alpha-the-right-to-kill