Au match aller des quarts de finale de la Ligue des champions, le 9 avril, Manchester City a perdu (1-0) contre les Londoniens de Tottenham. / ADRIAN DENNIS / AFP

« J’ai le sentiment que nous sommes nerveux dans les matchs importants de Ligue des champions. Nous prenons toujours la mauvaise décision. » La confession d’Ilkay Gündogan, le milieu allemand de Manchester City, témoigne du doute qui s’est emparé de son équipe après sa défaite (1-0) contre les Londoniens de Tottenham, le 9 avril, en quarts de finale aller.

Avant le match retour, mercredi 17 avril, les joueurs de l’entraîneur espagnol Pep Guardiola sont dos au mur : une sortie de route provoquerait non seulement le courroux du cheikh Mansour d’Abou Dhabi (Emirats arabes unis), propriétaire des Citizens depuis 2008, mais risquerait aussi de mettre à mal son modèle économique, dopé aux « pétrodollars ».

Malgré un effectif valorisé à près de un milliard d’euros, les Skyblues échouent depuis 2016 à atteindre les demi-finales de la C1. Et même un deuxième titre de champion d’Angleterre d’affilée – les Citizens bataillent actuellement avec Liverpool au sommet de la Premier League – ne suffirait pas à satisfaire le cinquième club le plus riche du monde (568 millions d’euros de revenus au terme de la saison 2017-2018, selon le cabinet Deloitte).

Comme au Paris-Saint-Germain avec Qatar Sports Investments, les propriétaires du club mancunien ne jurent que par la Ligue des champions. « Structurellement, City est à une meilleure place que le PSG, explique Simon Chadwick, professeur d’économie du sport à l’université de Salford. Recruté en 2012, l’ancien vice-président du FC Barcelone, Ferran Soriano, a apporté une vision et de la clarté à l’organisation. Cette lignée du Barça s’est étoffée avec Guardiola, le directeur sportif Txiki Begiristain et le chef des opérations Omar Berrada. Le modèle de City est atypique : l’argent n’est pas un problème, pas plus que l’ingérence des propriétaires, mais le succès dans l’exécution de la stratégie est très évident. »

« Du pétrole et des idées »

« City a bâti son propre empire international en fondant des clubs ou en devenant actionnaire de clubs aux Etats-Unis, en Australie, en Uruguay, au Japon et en Espagne pour devenir la première “multinationale du foot,” développe Joshua Robinson, journaliste au Wall Street Journal et coauteur de l’ouvrage The Club (Houghton Mifflin Harcourt, 2018). Mais c’est peut-être Arsène Wenger (ex-manager d’Arsenal) qui a le mieux résumé le projet de City : “Ils ont du pétrole et des idées. Le club n’est pas un simple jouet de riche. Il fait partie d’une vaste campagne de publicité pour l’émirat, qui cherche à améliorer son image. Pour la famille royale d’Abou Dhabi, l’objectif n’est pas un investissement sportif. »

Deux menaces planent pourtant sur ce modèle. La perspective du Brexit pourrait affecter la politique de recrutement de Manchester City, en raison de la probable mise en place de permis de travail pour les joueurs issus de l’Union européenne.

Et les Citizens sont actuellement visés par une enquête de l’Instance de contrôle financier des clubs (ICFC) de l’Union des associations européennes de football (UEFA) dans le cadre du fair-play financier (FPF), en vertu duquel les formations du Vieux Continent ne doivent pas dépenser plus qu’elles ne gagnent, sous peine de sanction.

Enquête sur les contrats de sponsoring

Déjà épinglé (amende et limitation des dépenses de recrutement) par l’UEFA en 2014, City est ciblé, « entre autres », en raison des révélations des « Football Leaks », comme le confirme au Monde un proche de l’enquête. En novembre 2018, le site Mediapart a accusé le club de contourner les règles du FPF en « grossissant artificiellement les contrats des sponsors. » Le cheikh Mansour aurait lui-même financé les partenaires émiratis des Citizens à hauteur de 127,5 millions d’euros.

Alors que la gamme de sanctions prévoit une exclusion des compétitions européennes, l’enquête de l’ICFC constitue-t-elle vraiment une épée de Damoclès pour les dirigeants de Manchester City, soucieux d’augmenter leurs revenus grâce à une victoire en Ligue des champions dès cette saison ?

« J’ignore jusqu’où l’UEFA ira contre City sur un plan disciplinaire. Les propriétaires de clubs comme City et le PSG ne vont jamais se conformer aux règles du FPF qui, de leur point de vue, les désavantagent », observe Simon Chadwick. Deux clubs qui considèrent que ce mécanisme régulateur a été créé pour avantager les grandes équipes européennes (Juventus Turin, Real Madrid, FC Barcelone et Bayern Munich) au détriment des « parvenus » du ballon rond, adossés à des Etats-actionnaires.

« Ces clubs comme City peuvent faire partie d’une ligue séparatiste qui, si l’UEFA prenait des mesures draconiennes à son encontre, pourrait attiser la menace des grands clubs de se séparer des structures de gouvernance européennes existantes, estime M. Chadwick. Les clubs financés par les pays asiatiques génèrent d’énormes bénéfices économiques pour le football européen, que l’UEFA sera soucieuse de ne pas perdre. »

Au-delà du terrain, le modèle de City et les ambitions continentales d’Abou Dhabi sont devenus un enjeu de taille pour l’instance faîtière du football européen.