Manifestation contre la censure, à Alger, le 15 avril. / RYAD KRAMDI / AFP

Les mardis se suivent sans se ressembler en Algérie. Alors que les manifestations dans la capitale étaient réprimées ou dispersées ces derniers jours, des milliers d’étudiants ont défilé le 16 avril sans être inquiétés par les forces de l’ordre. La journée a de nouveau vu le régime se fissurer et l’armée lâcher du lest au profit de la rue.

A l’image des étudiants, des millions d’Algériens continuent de manifester chaque semaine pour exprimer leur refus d’une transition pilotée par le régime, qui prévoit une élection présidentielle le 4 juillet. Contesté pour la première fois dans la rue vendredi 12 avril, le général Ahmed Gaïd Salah, chef de l’état-major, a sensiblement infléchi sa position lors d’une allocution prononcée mardi.

Une semaine jour pour jour après avoir mis en garde les manifestants, qu’il avait alors accusés d’être en partie « manipulés » et de porter des revendications « irraisonnables », le patron de l’armée a tenu à se démarquer de l’agressivité affichée par la police à l’égard de la foule à Alger, en assurant que son institution « veille à ce qu’aucune goutte de sang algérien ne soit versée ». « Nous avons donné des instructions claires et sans équivoque pour la protection des citoyens, notamment lors des marches », a-t-il ajouté. Autrement dit, les Algériens peuvent continuer à manifester, le commandement de l’armée n’anticipant visiblement pas un arrêt de la contestation.

« Dernier avertissement »

Signe de fortes tensions au sein de l’« Etat profond » ou tentative de détourner l’attention, Ahmed Gaïd Salah a attaqué publiquement l’ancien général Mohamed Médiène, alias Toufik, ex-patron des services de renseignements pendant vingt-cinq ans, auquel il a adressé un « dernier avertissement ». Déjà accusé, sans être nommé, le 2 avril, de « conspirer » avec l’entourage du président Abdelaziz Bouteflika, Toufik entraverait « les solutions de l’armée et les propositions de sortie de crise », selon Ahmed Gaïd Salah.

Le président du Conseil constitutionnel, Tayeb Belaiz, incarnation d’un « système » dont la rue réclamait la fin, a annoncé sa démission à la mi-journée, deux semaines après M. Bouteflika, dont il était un très proche. C’est le premier des « 3 B » – le trio, honni par les contestataires, qu’il forme avec le président par intérim, Abdelkader Bensalah, et le premier ministre, Noureddine Bedoui – à mordre la poussière.

Ce départ fragilise un peu plus l’édifice institutionnel mis en place pour préparer la prochaine présidentielle, et pourrait accélérer la chute du gouvernement nommé par l’ex-président deux jours avant son départ. Un peu plus de quinze jours après son arrivée aux affaires, la position de l’équipe gouvernementale est de plus en plus précaire face à la défiance de la population, des administrations et même des collectivités locales.

Les sorties sur le terrain des ministres du nouveau gouvernement de Noureddine Bedoui relèvent du chemin de croix. Samedi, les ministres de l’intérieur, des ressources en eau et de l’habitat ont été accueillis par des manifestants hostiles, les invitant à quitter les lieux à leur arrivée à Béchar, dans le sud-ouest du pays. Ils ont dû rebrousser chemin au terme d’une « visite de travail » éclair menée sous forte protection policière.

Appels à la grève

Lundi, c’est le ministre de l’énergie qui a été assiégé par les contestataires dans l’aéroport de Tébessa, dans l’est, d’où il a été empêché de sortir. Et le ministre des transports a jugé préférable d’annuler une visite sur le chantier de l’extension du métro de la capitale, quand ses homologues à l’éducation et à la culture font face à des appels à la grève dans leurs administrations.

Sur le terrain institutionnel, après la magistrature, un nouveau front vient de s’ouvrir. Alors que la révision des listes électorales a été lancée mardi, la rébellion gagne un rouage essentiel dans le déroulement des opérations de vote : les mairies, où s’amorce un mouvement de désobéissance civile inédit. D’une quarantaine dimanche, le nombre de maires qui refusent d’encadrer le vote dans leur ville approchait la centaine mardi.

Si ce nombre reste marginal au regard des 1 541 communes que compte le pays, cette fronde municipale, que le gouvernement semble incapable d’enrayer, pourrait s’étendre au-delà des wilayas (préfectures) kabyles ou de l’est du pays où elle se propage.

Dans ce climat de défiance généralisée, Ahmed Gaïd Salah affirme désormais que « toutes les perspectives sont ouvertes », mais appelle à sortir de la crise « dans les meilleurs délais ». Le patron de l’armée, en première ligne depuis le départ d’Abdelaziz Bouteflika, estime que « la situation ne peut perdurer davantage » et que le « temps est compté ». De nouvelles manifestations sont prévues vendredi.