Inauguration le 3 janvier 2018 du train Addis-Abeba-Djibouti, construit par la Chine. / HOUSSEIN HERSI / AFP

Chronique. Après le rouleau compresseur des dix dernières années qui ont vu le commerce bilatéral augmenter de 226 % entre la Chine et l’Afrique, les projets d’infrastructures se multiplier et la dette africaine gonfler, le Conseil d’Etat chinois a mis en place des règles pour encadrer les investissements à l’étranger et limiter les risques de défaut de paiement.

Un signe de sagesse après des années d’emballement qui ont vu par exemple l’assureur crédit Sinosure amortir des pertes d’un milliard de dollars (888,7 millions d’euros) pour les entreprises chinoises sur la ligne de chemin de fer reliant Djibouti à l’Ethiopie. Il ne faut pas y voir un essoufflement, mais la fin d’une folle croissance et le début d’une nouvelle stratégie qui doit permettre à la Chine de rester le partenaire incontournable de l’Afrique.

Car, depuis les débuts en fanfare il y a six ans de ce « plan Marshall chinois » pour les infrastructures, les déboires ont fini par effacer les réussites. Et pourtant, les succès sont nombreux : plus de soixante-dix pays y participent dont une grande partie en Afrique – ce qui n’était pas à l’origine prévu dans le programme. Du Kenya à l’Algérie, c’est tout le pourtour africain qui s’inscrit désormais dans ce projet. De nombreuses infrastructures ont vu le jour grâce aux financements chinois : voies ferrées, ports et aéroports, autoroutes, centrales
électriques…

Diplomatie des infrastructures

Cette diplomatie des infrastructures a englouti en Afrique une bonne moitié des 1 000 milliards de dollars de ce programme des « nouvelles routes de la soie ». Mais la question de la dette a fini par s’imposer. La faute aux pays occidentaux, Etats-Unis en tête, qui ont pointé là où ça fait mal : la Chine détiendrait à elle seule près de 20 % des dettes publiques africaines ; 40 % des prêts accordés par la Chine ont servi à payer la construction d’infrastructures destinées à la production électrique ou à la transmission d’énergie et un tiers ont réglé les infrastructures de transport. Ces programmes auraient donc d’abord servi les intérêts chinois dans la région : ports en eaux profondes pour accueillir les conteneurs chinois, routes et rails pour désenclaver les exploitations minières, barrages hydroélectriques pour alimenter en électricité les mines exploitées par les entreprises chinoises, etc. Ce beau projet ne serait-il donc qu’un leurre, un « piège », comme l’affirme Washington ?

Non, à en croire les pays africains eux-mêmes qui se succèdent tous à Pékin pour demander toujours plus de financements et d’investissements. Le président du Kenya vient en Chine renégocier ce mois-ci l’échelonnement de sa dette, mais surtout obtenir de nouveaux prêts. Même chose pour l’Ethiopie qui espère un étalement de ses remboursements et de nouvelles lignes de crédit pour financer la ligne Addis-Abeba-Djibouti inaugurée il y a un
an à peine. L’Ethiopie a déjà reçu plus de 12 milliards de dollars de prêts des banques chinoises depuis 2000, mais elle en veut encore plus !

Une vingtaine d’autres pays africains font la même démarche, signe certain qu’il y a un besoin crucial de liquidités sur le continent. Un financement d’autant plus attractif qu’il échappe aux conditions très strictes imposées par les traditionnels grands argentiers de ce monde. FMI, Banque mondiale, Bruxelles et Washington n’ont plus le monopole des crédits.
Certes d’autres pays sont en embuscade : le Japon, la Russie, la Turquie, l’Inde ou l’Indonésie investissent sur le continent et créent les conditions d’une concurrence saine. Mais ils sont loin de pouvoir concurrencer les grandes banques chinoises telles l’Exim Bank et la Banque de développement.

Rassurer les pays africains

Le débat au sujet du poids de la dette jette cependant une lumière crue sur les dérapages possibles. Si l’Afrique est encore relativement épargnée et bénéficie du soutien inconditionnel de Pékin, d’autres pays en Asie comme le Sri Lanka, la Malaisie, les Maldives ou la Birmanie ont dû revoir à la hâte leurs projets. Incapables de payer leurs nouvelles infrastructures, ils risquaient d’en abandonner la concession au créancier chinois.

Beaucoup estiment que le prix à payer est bien trop élevé. Tokyo a ainsi demandé un code de conduite concernant les investissements chinois dans le cadre de ce programme. Le Japon présentera fin juin, lors du prochain G20 à Osaka, une feuille de route permettant selon lui d’éviter ce « piège de la dette ». Mais le G20 ne pourra dicter leur conduite aux pays africains et le sommet de Pékin organisé ce mois-ci sera d’abord l’occasion de rassurer les pays membres de ce programme, notamment les Africains.

La Chine continue donc sa route et compte profiter de ce deuxième sommet officiellement nommé « Belt and Road Initiative » (« Initiative Une ceinture, Une route ») pour faire un pied de nez aux pays occidentaux.

Sébastien Le Belzic est installé en Chine depuis 2007. Il dirige le site Chinafrica. info, un magazine sur la Chinafrique et les économies émergentes.