La bague devait-elle rentrer dans l’actif de la succession ? / Radius Images / Photononstop

Raymonde X meurt le 6 juin 2005, laissant pour lui succéder ses deux enfants, Yves et Françoise. Sa succession, dont l’inventaire est établi par Me B., comprend notamment un « solitaire or blanc légèrement teinté jonquille », d’une valeur de 25 000 euros, et un solitaire « monté sur or blanc », d’une valeur de 20 000 euros.

Présent d’usage

Le solitaire jonquille est trouvé dans le coffre dont la défunte disposait au Crédit agricole, à l’intérieur d’une enveloppe ainsi annotée de sa main : « Fait à Sartrouville le 27-3-78. Bague remise en dépôt par mon fils Yves X le 27 mars 1978. Elle lui appartient depuis son mariage le 1er avril 1967. Il désire ce jourd’hui qu’elle soit placée en lieu sûr. R. X. »

Yves affirme que le solitaire jonquille lui appartient, et que la mention sur l’enveloppe le prouve. Il explique que sa mère le lui a offert, pour son mariage, en 1967 ; que, lors de son divorce, dont le jugement a été prononcé en 1981, son ex-épouse le lui a restitué, et qu’il l’a confié à sa mère pour qu’elle le mette en lieu sûr. Il refuse qu’il soit porté à l’actif de la succession.

Prêt à usage

Françoise demande que le solitaire jonquille soit, comme le solitaire monté sur or blanc, porté à cet actif. Elle conteste en effet que son frère en soit propriétaire. Elle affirme que cet anneau orné d’une seule pierre appartenait à ses grands-parents paternels, dont la succession n’a pas encore été liquidée, et dont sa mère avait la garde. Elle en veut pour preuve le fait qu’il figurait dans une estimation faite en 1959 des bijoux appartenant à sa grand-mère Thérèse, le joaillier ayant évoqué « une bague brillant solitaire monture platine 4 carats environ, 900 000 francs ». Françoise affirme qu’il s’agit d’un bijou de famille, remis à Yves pour son mariage, au titre de « prêt à usage », et restituée par celui-ci à sa mère après son divorce. Le prêt à usage est « un contrat par lequel l’une des parties livre une chose à l’autre pour s’en servir, à la charge par le preneur de la rendre après s’en être servi », selon le code civil (article 1875).

Françoise propose qu’Yves en hérite, tandis qu’elle prendrait l’autre, sa mère ayant dans son testament préconisé « un partage dans le meilleur climat d’entente et d’oubli des désaccords de [ses] enfants ». Yves répond qu’elle confond le solitaire jonquille avec un autre bijou. Il explique que le sien, acheté pour son mariage en 1967, n’a pas pu figurer dans un inventaire de 1959, et qu’il ne s’agit pas d’un bijou de famille.

Actif de la succession

Les magistrats du tribunal de grande instance de Versailles, qui statuent le 21 mai 2013, estiment, comme Françoise, que la mention portée sur l’enveloppe « est insuffisante à établir » l’existence d’une donation que la défunte aurait consentie à Yves. Ils considèrent que « cette bague de famille, de grande valeur, restituée par l’épouse lors du divorce du couple en 1981, est soumise au régime du prêt à usage, qui se déduit suffisamment des circonstances de la remise du bijou (…) de sa valeur d’apparat, de son caractère familial non contesté ».

Ils jugent toutefois impossible de dire que le solitaire appartenait aux grands-parents des héritiers : « Aucune corrélation ne peut être établie entre ce solitaire or blanc légèrement teinté jonquille et les solitaires qui figurent dans l’estimation… » Ils en déduisent qu’il faut appliquer l’article 2276 -1 du code civil, au terme duquel, « en fait de meubles, la possession vaut titre », et faire comme s’il avait appartenu à la défunte. Ils concluent que le solitaire doit figurer à l’actif de la succession de celle-ci. La cour d’appel de Versailles, saisie par Yves, confirme, le 14 avril 2016.

Possession précaire et équivoque

Yves se pourvoit en cassation, en reprochant à la cour d’appel de ne pas avoir cherché à savoir si la mention portée sur l’enveloppe par Raymonde n’établissait pas « le caractère précaire et équivoque » de sa possession. En effet, les dispositions de l’article 2276-1 du code civil ne jouent au profit du possesseur que si la possession dont il se prévaut est « paisible et non équivoque ». La Cour de cassation lui donne raison, le 11 octobre 2017, et censure l’arrêt, en ce qu’il dit que le solitaire jonquille doit figurer à l’actif de la succession de Raymonde.

L’affaire est rejugée, le 25 janvier (2019), par la cour d’appel de Versailles autrement composée. Yves soutient que les mentions écrites de la main de sa mère « démontrent le caractère équivoque et précaire de la possession de cette dernière ». La cour admet cette fois que « Raymonde ne se considérait pas comme propriétaire de ce bien », ce qui établit « le caractère précaire et équivoque de sa possession », et prouve que « les conditions de l’article 2276 du code civil ne sont pas réunies ».

La cour d’appel ajoute, comme les juridictions précédentes, qu’« aucune corrélation ne peut être établie entre le solitaire litigieux et les bagues figurant dans la succession des grands-parents », puisque aucune de celles qui y sont décrites « n’évoque un solitaire légèrement teinté jonquille, alors qu’il s’agit d’une caractéristique de nature à permettre assurément l’identification du bijou ». Elle considère qu’« il n’est donc pas établi qu’il s’agit d’un bijou de famille ». Elle conclut qu’« il s’agit par conséquent d’un présent d’usage remis à Yves à l’occasion de son mariage ». Il pourra donc le garder, et revendiquer la moitié de la valeur de l’autre solitaire.