La cathédrale Notre-Dame, à Paris, jeudi 18 avril. / PHILIPPE WOJAZER/REUTERS

Editorial du « Monde ». Après le temps de la catastrophe, de la sidération et de l’émotion planétaire, voici venu celui des questions, des spéculations et des controverses dont on raffole sous les cieux parisiens. Il aura suffi pour cela de deux initiatives du pouvoir politique.

Dès le lendemain de l’incendie qui a ravagé la cathédrale de Paris le 15 avril, le président de la République, Emmanuel Macron, a pris cet engagement solennel : « Je veux que Notre-Dame soit rebâtie plus belle encore d’ici cinq années. » Et, mercredi 17 avril, le premier ministre, Edouard Philippe, a engagé cette course contre la montre : d’une part, un projet de loi sera déposé très rapidement afin de donner un cadre légal aux dons qui affluent de toute part pour financer la restauration, d’autre part, un concours international d’architectes va être lancé pour décider de reconstruire ou non, et sous quelle forme, la flèche de la cathédrale, disparue dans le brasier.

Aussi légitime soit-il dans son principe et son intention, le volontarisme présidentiel a déclenché, dans l’instant, interrogations et polémiques. Comment Emmanuel Macron peut-il, urbi et orbi, fixer un calendrier aussi ambitieux, alors que l’impératif immédiat est de protéger et de sécuriser le bâtiment, et alors que les experts en tout genre commencent à peine à faire l’état des lieux et des dommages causés par le sinistre ?

Ces opérations complexes, mais décisives, pour la conception même de la restauration future, peuvent prendre des mois, plus vraisemblablement des années. Si l’engagement de l’Etat est salutaire, la précipitation, objectent déjà bien des experts, pourrait être mauvaise conseillère et abusivement préjuger des choix architecturaux et des solutions techniques qui seront retenues.

Faut-il restaurer la « forêt » ?

Sans attendre, une autre question a immédiatement embrasé tout le Landerneau des architectes, des experts des monuments historiques et des entreprises spécialisées : faudra-t-il restaurer Notre-Dame à l’identique, est-ce possible et souhaitable ? Eternelle querelle des anciens et des modernes, des conservateurs et des innovateurs, des prudents, voire des frileux, contre les audacieux, voire les iconoclastes. Parce que c’est un édifice unique, si chargé d’histoire et si profondément inscrit dans le paysage parisien, les prudents exigent de le restituer tel qu’il était à la veille de l’incendie. Pour les autres, cela reviendrait à s’imposer des contraintes absurdes quand l’occasion stimulante est offerte de dessiner une nouvelle cathédrale.

Entre mille autres questions, le débat se concentre, dès à présent, sur la charpente et la flèche. Faut-il restaurer la première, dont la « forêt » de poutres séculaires est partie en fumée, avec une nouvelle structure en bois, ou opter pour des techniques modernes, comme on le fit au XIXsiècle à Chartres, avec des poutrelles en fonte, dans l’entre-deux-guerres à Reims, avec des éléments en béton armé, ou à Metz, avec une structure métallique ? Quant à la flèche, rajoutée de façon intempestive au XIXsiècle par Viollet-le-Duc, convient-il de la restaurer à l’identique, d’en inventer une nouvelle ou carrément de la supprimer ?

Osons trancher ! Comme toutes ses semblables, Notre-Dame n’est pas un patrimoine figé. Depuis des siècles s’y sont sans cesse superposés les styles et les empreintes, dictés par les choix architecturaux et techniques du moment. L’essentiel, dans tous les sens du terme, est d’en préserver et d’en magnifier l’esprit.