Pendant de longues minutes, tout près de la Grande Poste d’Alger, des centaines de jeunes se sont mis à chanter à l’unisson « Nehina al-khamsa, mazel fransa » : « On a enlevé le cinquième [mandat de Bouteflika], reste la France ». Juste en face, d’autres manifestants ont déployé une immense banderole où l’on voit un Emmanuel Macron souriant traire une vache aux couleurs de l’Algérie. L’animal est tenu en laisse par Abdelkader Bensalah, président par intérim depuis la démission d’Abdelaziz Bouteflika le 2 avril, le chef d’état-major Ahmed Gaïd Salah et Saïd Bouteflika, « frère-conseiller » de l’ancien chef d’Etat. « La traite est finie ! », peut-on y lire. Plus loin, sur la place Maurice-Audin, d’autres contestataires ont étiré une grande pancarte sur laquelle est représenté le président français surplombant l’avenue des Champs-Elysées en feu. « Je soutiens la bande de Bouteflika. Le peuple algérien soutient les gilets jaunes », est-il écrit.

D’Oran à Annaba, de Tizi Ouzou à Tamanrasset, on reproche à l’Etat français – à travers Emmanuel Macron et ses prédécesseurs – de s’être fait le complice du système en place et d’une élite corrompue, à l’opposé des intérêts du peuple.

Ce 12 avril, huitième vendredi de contestation contre le « système » en place, les marcheurs algérois ont, une nouvelle fois, dénoncé, parfois avec humour, l’attitude « néfaste », selon eux, de l’ancienne puissance coloniale envers l’Algérie. Depuis le début de la révolution le 22 février, la France est visée par des slogans réprobateurs lors des différentes marches. « Dégage Macron », a-t-on pu entendre à plusieurs reprises. « Gérard Larcher, président du Sénat colonisateur a dit : Bensalah est un ami de la France” », a marqué un vieil homme sur un énorme carton. « Mais ce ne sont pas les Français ou la France comme pays qui est ciblée, mais son système politique qui a soutenu sans relâche le régime mafieux algérien », précise Mehdi, 30 ans, peintre en bâtiment.

« Elle [la France] ne veut pas nous lâcher », estime Samir, 38 ans, chef d’entreprise. Comme lui, de nombreux marcheurs se demandent jusqu’à quel point la France a fermé les yeux sur les agissements de politiques algériens qui auraient détourné des sommes faramineuses d’argent public. « Certains vivent dans de beaux appartements à Paris : comment ont-ils pu faire transiter autant d’argent en France ? », se demandait un cadre oranais lors de la marche du 28 février. D’autres pensent mordicus qu’elle continue de « s’enrichir » sur le dos des Algériens en profitant de juteux contrats – comme sur les hydrocarbures – signés avec le régime.

Divorce

Un épisode est resté en travers de la gorge : à la suite de la rencontre, en 2015, entre François Hollande et le président Bouteflika à Alger, le chef de l’Etat français avait salué « l’alacrité » de son homologue algérien, pourtant lourdement handicapé. « Alacrité, ça veut dire vivacité, souligne Yazid, étudiant en micro-électrique. A ce moment-là, la jeunesse a vraiment compris qu’elle ne pouvait compter que sur elle-même et pas sur les grandes puissances démocratiques. »

A Tizi Ouzou, lors de la manifestation étudiante du 5 mars, un jeune avait brandi une pancarte en forme de missive : « Madame la France, l’Algérie demande le divorce. » On regrette, également, le silence des dirigeants français qui n’auraient pas eu un « vrai » mot pour les manifestants depuis près de deux mois. « Quand nous aurons renversé le système, il faudra instaurer un nouveau type de partenariat avec la France où nous ne serions pas perdants », estime Mehdi.

Un autre sujet commence à sérieusement irriter les Algériens : la Casbah d’Alger et sa rénovation confiée à l’architecte Jean Nouvel et en partie financée par la région Ile-de-France. Cette colère se voit, entre autres, sur les murs de la rue Dziri-Abdelkrim de la capitale. Au milieu de fresques peintes par des artistes de rue, des phrases explicites, en arabe et en français, ont été inscrites : « France, dégage de la Casbah ! » ou encore « Hey la France, ne touche pas à la Casbah ». « Je ne comprends pas qu’on ait pu confier à des Français le soin de rénover ce haut lieu de la guerre coloniale, alors qu’il existe tellement de talents chez nous », arguait la jeune Fériel, une étudiante en architecture rencontrée à Annaba lors d’une marche étudiante le 12 mars.

Depuis près de deux mois maintenant, des millions d’Algériens manifestent pour réclamer la tête des hauts responsables du « système » qu’ils surnomment aussi « les fils de la France ».