Ce devait être la plus grande action de désobéissance civile jamais organisée. En unissant leurs forces et leurs réseaux d’activistes prêts aux actions spectaculaires, Greenpeace, Les Amis de la Terre et ANV-COP21 (Action non violente) ont voulu frapper un grand coup, vendredi 19 avril. En début de matinée, ils étaient plus de deux mille à empêcher l’accès à quatre bâtiments à La Défense : les tours de Total, d’EDF, des locaux du ministère de la transition écologique et solidaire, et de la Société générale. Le mot d’ordre : « Bloquons la République des pollueurs ».

« Macron c’est le champion du business, pas du climat », assénait Gab, l’un des organisateurs de l’initiative, membre d’ANV-COP21, devant quelque 250 personnes, réunies dans une grande salle de Montreuil (Seine-Saint-Denis), jeudi 18 avril. Durant quatre heures, par vagues de 200 à 300 militants, ils se sont formés et préparés pour le lendemain.

« Le devoir de désobéir en tant que citoyen »

D’abord, le cadre politique. « Ses décisions politiques montrent bien que les intérêts des grandes entreprises pollueuses passent avant la lutte contre le changement climatique et la préservation de notre avenir à toutes et tous », explique une petite brochure distribuée à chaque participant. Qui détaille que onze milliards d’euros de niches fiscales bénéficient aux énergies fossiles, ou que le gouvernement soutient des projets autoroutiers comme le grand contournement Ouest de Strasbourg, ou encore la future « méga mine d’or » en Guyane. Alors, ajoute Gab, « nous avons la légitimité et même le devoir de désobéir en tant que citoyen ».

Alors que le mouvement des « gilets jaunes », qui s’exprime depuis bientôt cinq mois, a poussé le gouvernement à prendre plusieurs mesures et organiser un grand débat national, les militants pour le climat estiment ne pas être entendus, malgré de nombreuses manifestations de plusieurs dizaines de milliers de personnes depuis l’automne, et la grève scolaire de la jeunesse. Elodie Nace, chargée de la mobilisation, le déplore :

« Depuis des mois, des années, nous nous mobilisons contre l’inaction climatique de ce gouvernement et des précédents : nous marchons, nous faisons grève, nous signons des pétitions… Pourtant, Emmanuel Macron ne change pas de cap. »

La pétition « L’affaire du siècle » a recueilli plus de deux millions de signatures, et les organisations qui l’ont lancée ont engagé une action en justice contre l’Etat. Les activistes d’ANV-COP21 et des Amis de la terre ont aussi lancé une campagne de « décrochage » des portraits du chef de l’Etat dans les mairies, pour illustrer selon eux le « vide de la politique climatique » d’Emmanuel Macron. A ce jour, une trentaine de portraits ont été enlevés.

« Quand les gilets jaunes cassent, cela marche, nous on nous ignore »

Trente-cinq militants ont été auditionnés par la police, dont vingt et un sous le régime de la garde à vue, selon l’avocat de l’ANV-COP21, Alexandre Faro. Neuf personnes ont été convoquées en vue d’un procès à Paris le 11 septembre 2019, deux à Strasbourg le 26 juin et deux à Lyon le 2 septembre. « Mais, quand les gilets jaunes cassent, cela marche, nous on nous ignore », peste une jeune militante venue de Lyon.

La « cible » du lendemain n’est pas révélée

La préparation à l’action de désobéissance civile se fait au contraire selon les principes de non-violence, qui leur sont rappelés dans des ateliers : « votre visage doit toujours être découvert », « aucune agression physique, verbale ou psychologique tolérée », « aucune dégradation de biens ».

La « cible » du lendemain n’est pas révélée. Elle le sera lors de rendez-vous très tôt vendredi. Mais le scénario est présenté. « Nous allons bloquer un bâtiment en perturbant son fonctionnement, en empêchant les entrées et les sorties, et nous allons aussi le transformer visuellement », explique encore Gab :

« Il faudra tenir le plus longtemps possible, et ce n’est pas facile. Après l’adrénaline vient parfois l’ennui, une envie de faire pipi, mais on ne pourra pas partir. »

Sauf urgence et à condition de signaler à son binôme qu’on s’en va. La formation se fait ensuite par atelier, avec un point juridique. Chacun connaît son rôle, cycliste, « médiactiviste », etc. Ceux qui ne veulent pas prendre de risque juridique, type garde à vue, se signalent. Enfin, tout ou presque est prêt pour le lendemain.