En janvier 2018, « Challenges » avait été obligé de retirer de son site, sous peine d’une astreinte de 10 000 euros par jour, un article consacré aux déboires financiers de l’enseigne Conforama. / DENIS CHARLET / AFP

L’affaire avait fait grand bruit il y a un plus d’un an et suscité une forte émotion parmi les organes de presse et chez les journalistes qui avaient dénoncé une censure inadmissible au nom du secret des affaires. En janvier 2018, l’hebdomadaire économique Challenges avait été obligé de retirer de son site, sous peine d’une astreinte de 10 000 euros par jour, un article consacré aux déboires financiers de Conforama, filiale du groupe sud-africain Steinhoff, après une condamnation du tribunal de commerce de Paris, statuant en référé. Il lui avait été également signifié de ne plus publier d’information sur ce sujet. Le juge s’était fondé sur une disposition du code de commerce – contenue dans l’article 611-15 –, prévoyant une obligation de confidentialité lorsqu’une entreprise est placée sous mandat ad hoc, une procédure d’aide aux entreprises en difficulté.

Jeudi 18 avril, le magazine – qui avait reçu après la première décision de justice le soutien d’une vingtaine de sociétés de journalistes, de l’association Reporters sans frontières ou encore du collectif Informer n’est pas un délit et la grande enseigne de distribution de meubles et d’électroménager se sont retrouvés devant la cour d’appel de Paris. Un moment important, avait estimé lundi Claude Perdriel, président des éditions Croque Futur, qui regroupent Challenges et d’autres publications. « La liberté de la presse est une chose indispensable en démocratie », avait-il dit.

Pour sa part, le directeur de la rédaction de l’hebdomadaire, Vincent Beaufils, avait estimé que « pour la presse économique, c’est particulièrement important, alors qu’un glacis est en train de se former avec la loi sur le secret des affaires ».

« Confidentialité des procédures »

Après le rejet en février d’une demande de question prioritaire de constitutionnalité, la question au cœur de l’audience de jeudi a été de savoir si Challenges participait à un débat d’intérêt général en publiant cette information sur Conforama. Dans sa plaidoirie, l’avocat de Challenges, Me Didier Leick, a souligné « l’importance de cette affaire » soulevée par l’interdiction de cet article, que le président de la chambre a lu au début de l’audience. Un papier de « 32 lignes, un titre, une photo, une légende, deux intertitres… » qui se contentait d’évoquer au conditionnel la procédure de mandat ad hoc mise en œuvre par Conforama sans entrer dans les détails. « Voilà la gravité du crime et la noirceur du mobile qui est l’information de notre lectorat et plus largement du public », déclare-t-il.

Pour étayer son raisonnement, l’avocat du magazine économique a tenu à souligner les différences de son dossier avec une affaire déjà jugée qui a fait jurisprudence, opposant un groupe spécialisé dans le béton préfabriqué à un site d’informations financières spécialisé dans le suivi de l’endettement des entreprises. Tout cela pour démontrer le bien-fondé de la démarche de Challenges dont l’intérêt était, a-t-il dit, « d’informer le public sur un sujet d’intérêt général ».

« Caricatures », lui a répondu son confrère, Me Louis-Marie Pillebout. La liberté de la presse n’est pas en danger, a-t-il assuré, soutenant que « ce sont ces caricatures qui expliquent l’émotion ». Il a expliqué que la révélation d’une recherche d’un financement de 200 millions d’euros avec l’aide de la banque Rothschild avait motivé la démarche de son client. « Ce qui était craint par Conforama, c’était que ces articles de presse ne mettent en péril ces discussions extrêmement délicates menées sous l’égide du mandat ad hoc », a-t-il souligné, déplorant une « polémique entretenue par Challenges ». Il a écarté tout secret des affaires, puisque, a-t-il poursuivi, de nombreux articles avaient déjà été écrits sur les difficultés de l’enseigne. « Votre décision est très attendue, a-t-il lancé au juge, par ceux qui dans notre pays font profession de redresser les entreprises (…). Ces professionnels sont extrêmement attachés à la confidentialité de ces procédures. » La décision sera connue le 6 juin.