Le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, lors du Club de l’économie du « Monde », jeudi 18 avril, entouré des éditorialistes Sylvie Kauffmann et Philippe Escande. / CAMILLE MILLERAND

Bruno Le Maire était l’invité du Club de l’économie du « Monde », jeudi 18 avril. Pour le ministre de l’économie, qui vient de publier Le Nouvel Empire, l’Europe du vingt et unième siècle (Gallimard, 112 pages, 10 euros), il faut tenir tête à l’agressivité américaine et aux pratiques commerciales déloyales chinoises.

La souveraineté européenne, n’est-ce pas une idée très française ?

Bruno Le Maire : La France reste le pays qui donne l’impulsion à l’Europe. Emmanuel Macron est le seul leader européen à ne cesser de faire des propositions pour le futur de l’Union. Nous attendons toujours la vision de l’Europe pour les vingt-cinq prochaines années de la part du gouvernement allemand ou de l’Italie. Mais la grandeur de la France ne sera pas dans sa projection dans l’Europe, mais dans sa capacité à faire de l’Europe un grand projet politique. La souveraineté, c’est simplement la liberté de décider.

Cette préoccupation est-elle nourrie par les conflits commerciaux avec les Etats-Unis ?

Je suis fier que l’Union européenne et la commissaire européenne au commerce aient pris la décision de réagir aux sanctions américaines sur l’acier et l’aluminium. Il en ira de même concernant le conflit entre Boeing et Airbus.

Mais cela ne mènera nulle part. La croissance faiblit principalement pour des raisons politiques, notamment la menace de crise commerciale entre la Chine et les Etats-Unis. Si les Etats-Unis imposaient un régime de sanctions sur les investissements à Cuba en contravention avec tout ce qui a été décidé par nos alliés américains, l’Europe se tient prête à imposer des sanctions.

Comment faire avancer l’Europe quand la méfiance domine en Allemagne ?

Il n’y a pas d’Europe sans relation entre la France et l’Allemagne. Nous avons des résultats, dont certains sont spectaculaires. Le budget de la zone euro est décidé. Les détails seront donnés en juin au Conseil européen. Nous allons dans quelques jours, avec mon homologue de l’économie, Peter Altmaier, lancer la création d’une filière de batteries électriques. Il y a une souveraineté européenne technologique qui se bâtit en commun. C’est ce que nous faisons avec notre filière de voitures électriques.

Mais j’explique à mes partenaires allemands que ça ne suffit pas. Il faut pouvoir répondre à une question simple : « L’Europe, pour quoi faire ? » Nous savons ce que veut la Chine : la conquête par le commerce et la technologie. Ce qui dirige la pensée de Donald Trump, ce sont les intérêts économiques américains exclusifs, et tant pis si cela peut créer un conflit.

Quel est le concept de l’Europe ?

Si c’est uniquement d’être un port marchand et un marché unique, ça ne m’intéresse pas. L’Europe est non seulement un grand marché, à la pointe du développement économique, mais elle est aussi dotée d’une ambition politique et culturelle : défendre l’Etat de droit, la démocratie qui est affaiblie dans le monde entier, reconnaître la place de la culture. Notre-Dame en est le symbole. Nous sommes un continent de culture. C’est cela qui fait notre force. Il ne faut pas aller chercher ailleurs ce que seront notre modèle politique et notre modèle de souveraineté. L’Europe ne survivra pas à l’absence de frontières clairement définies et protégées. Nous voulons défendre nos intérêts, notre mode de vie, notre conception de la société, notre conception de la vie, dans un cadre politique défini.

Bruno Le Maire, au Club de l’économie du « Monde », jeudi 18 avril. « Nous avons une monnaie commune, mais nos économies divergent. Cette situation n’est pas tenable. Il faut aller au bout de l’union monétaire », selon ce dernier. / CAMILLE MILLERAND

Vous défendez l’Etat de droit, mais vous voulez réécrire les règles de la concurrence qui ont bloqué la fusion Alstom-Siemens. N’est-ce pas contradictoire ?

Non. Il faut changer le droit de la concurrence en Europe. La fusion Siemens-Alstom n’est pas allée à son terme, et nous aurons des trains chinois en Europe. On a détruit l’industrie du panneau solaire européen sciemment et nous avons laissé entrer les panneaux chinois qui sont largement subventionnés. La compétition n’est pas équitable, et nous n’avons aucune chance de gagner. Si la politique ne reprend pas son droit de cité en Europe, vous aurez les populistes au pouvoir. Quand nous ne protégeons pas les gens, ils se vengent et ils ont raison.

En Chine, vous ne pouvez pas bénéficier de subventions sur un véhicule électrique si votre batterie n’est pas chinoise. Demain, nous pourrions réserver nos subventions aux voitures équipées de batteries électriques européennes. L’Europe ne doit plus avoir peur de sa puissance. Nous sommes le premier marché au monde, le continent le plus riche. Il faut juste que nous ayons le courage de défendre nos intérêts.

La faible croissance économique de la zone euro n’est-elle pas le principal obstacle à ces ambitions ?

La langueur de la zone euro n’est pas soutenable à long terme. J’ai proposé un contrat de croissance à nos partenaires européens. Premièrement, je m’engage à poursuivre la transformation économique de la France. Nous avons transformé la fiscalité et le marché du travail. Nous pouvons transformer l’indemnisation du chômage, le système de retraite et la fonction publique. Je suis favorable à la suppression de l’ENA depuis de nombreuses années. Deuxième élément du contrat de croissance, nous avons une politique monétaire qui est souple. Profitons-en ! Troisième pilier de ce contrat, si nous nous engageons à rétablir les finances publiques et à faire des transformations structurelles ou économiques, il faut que nous puissions compter sur la capacité des Etats comme l’Allemagne, les Pays-Bas ou d’autres à investir davantage.

Si nous ne prenons pas les décisions nécessaires pour aller au bout de la réalisation de la zone euro, elle disparaîtra. Nous avons une monnaie commune, mais nos économies divergent. Cette situation n’est pas tenable. Il faut aller au bout de l’union monétaire. Il faut faire l’union bancaire, l’union des marchés de capitaux et le budget de la zone euro. Il faut que ce soit fait dans les mois qui viennent et non dans les années qui viennent.

Comment restaurer notre souveraineté numérique ?

C’est une question stratégique. Nous avons besoin d’investir mille fois plus pour avoir des géants du digital à la hauteur de ce qui existe en Chine et aux Etats-Unis. Ce qui bloque les investissements, c’est l’absence d’union des marchés des capitaux. Regardez les opérations d’investissement en capital-risque en 2018 : 100 milliards de dollars aux Etats-Unis (88,94 milliards d’euros), 80 milliards en Chine, 20 milliards en Europe. Nous n’aurons pas de souveraineté numérique tant que les investissements seront trop faibles.

Le point positif est que nous avons tous les atouts pour réussir dans l’intelligence artificielle. Nous avons une école mathématique exceptionnelle, des données qui sont fiables. Il faut pouvoir protéger les données de santé. C’est un trésor pour l’intelligence médicale, le décryptage et le diagnostic, dont aucune autre nation ne dispose.