Lors de la victoire de St Michael’s College face au Gonzaga College en finale de la Leinster Schools Senior Cup, le 17 mars à Dublin. / Ramsey Cardy / Sportsfile / Icon Sport

Il faut d’abord passer devant la bibliothèque James-Joyce. Puis, quelques pas plus loin, entrer dans un long bâtiment d’un étage. Endroit très studieux : c’est dans le campus de l’University College Dublin que se trouve le siège du Leinster, quadruple vainqueur de la Coupe d’Europe de rugby. Un record. Détenu à égalité avec Toulouse, que le tenant en titre irlandais s’apprête à recevoir en demi-finale de la compétition, dimanche 21 avril après-midi.

Mais, dans la capitale irlandaise, les raisons du succès se situent plutôt du côté des écoles secondaires. Dans les établissements privés, surtout, où le rugby se pratique déjà avec zèle. Autant de centres de formation officieux dont profite ensuite le Leinster. « Plus vous êtes petit, plus vous devez vous concentrer sur vos ressources, vous devez essayer de “boxer” avec intelligence », résume Michael Dawson, le président du club, qui revendique un budget annuel de fonctionnement d’environ 15 millions d’euros. Somme bien inférieure à celle du Stade toulousain.

« Le rugby scolaire a toujours été et reste important dans la région de Dublin », contextualise l’historien Philip Dine, enseignant à l’université de Galway et collaborateur de la British Society of Sports History. Son ancrage précède la création de quatre équipes professionnelles, dans les années 1990, une pour chaque province irlandaise : outre le Leinster, le Munster, l’Ulster et le Connacht. « A l’époque de l’amateurisme, le rugby irlandais se construisait surtout autour de ses clubs historiques et de ses prestigieuses écoles privées, plutôt qu’avec ses provinces. »

Le Blackrock College et ses glorieux anciens

A Dublin, un rendez-vous inter-écoles illustre encore aujourd’hui l’importance de ces « pépinières », selon l’historien. La Leinster Schools Senior Cup reste « un événement important dans le calendrier sportif, avec une couverture médiatique dans la presse, et même une retransmission à la télévision nationale ». La finale se tient chaque année en mars. Idéalement la même semaine que la Saint-Patrick, le jour du saint patron de l’Irlande et donc aussi un peu celui des brasseries locales.

Depuis 1887, le palmarès distribue surtout des bons points au Blackrock College : déjà 69 titres pour l’équipe de cette école privée catholique qui doit sa fondation à un missionnaire français. Coût de l’inscription ? « Je ne sais pas, il faudrait demander à mes parents, ce sont eux qui ont fait des sacrifices », répond Garry Ringrose, 24 ans, actuel trois-quarts centre du Leinster et de l’Irlande. Le jeune homme a gagné la « Cup » en 2013. Il se sent « privilégié, très chanceux » : « A Blackrock, on jouait déjà avec des standards de très haut niveau, j’essaie de garder contact avec mes entraîneurs de l’époque. »

Selon le quotidien The Irish Times, pour une année dans l’établissement, il en coûterait 6 900 euros par élève (qui y ont tous entre 13 et 18 ans). Contacté par Le Monde, le Blackrock College n’a pas souhaité donner d’indications. Sur son site Internet, un prospectus recense plutôt une liste d’anciens. Parmi eux, Eamon de Valera, héros de l’indépendance et ancien président de l’Irlande. Ou encore Leo Cullen, l’homme de tous les titres européens du Leinster, comme joueur (2009, 2011, 2012) puis comme entraîneur (2018). Ainsi que son ex-coéquipier, la « légende » Brian O’Driscoll.

Il y a un an, les Leinstermen ont remporté leur quatrième Coupe d’Europe contre un club français, le Racing. Dans leurs rangs figuraient douze titulaires originaires de la province dublinoise, tous sous contrat avec la Fédération irlandaise de rugby. Dont le joueur-clé Johnny Sexton, formé au Saint Mary’s College. On dénombrait seulement trois renforts extérieurs : l’international fidjien Isa Nacewa, l’Australien Scott Fardy, et le « Munsterman » Sean Cronin.

Origines privilégiées

« La sociologie du Leinster Rugby reflète des origines privilégiées ou celles de la classe moyenne, selon Philip Dine. Pour l’évoquer, on parle souvent de “D4” ». Abréviation pour « Dublin 4 », le secteur huppé des ambassades et des stades, comme celui de Lansdowne Road (qui a perdu son nom pour celui d’une compagnie d’assurances), où se jouera la demi-finale contre Toulouse, ou celui de Donnybrook, l’ancien repaire du Leinster.

Subsistent quelques exceptions. Fils de fermier, Tadhg Furlong vient bien du Leinster. Mais il a poussé dans un village du comté Wexford, à deux heures de voiture de Dublin. Loin des écoles privées de la capitale. A 26 ans, le pilier droit compte parmi les références mondiales. « Nous l’avions repéré dans une compétition de clubs, alors qu’il devait avoir 15 ans », raconte Philip Lawlor, « domestic rugby manager » du club, chargé de développer la pratique dans toute la province.

L’ancien joueur commence les calculs : son territoire comprend 400 écoles primaires (de 6 à 12 ans) et 160 écoles secondaires (jusqu’à 18 ans). « Quarante agents de développement » travaillent à ses côtés. Avec pour objectif premier de pousser les plus jeunes à rejoindre les clubs du coin. Pas forcément simple. A regret, Philip Lawlor tient le rugby pour seulement « le quatrième sport » en Irlande, derrière le football gaélique, le hurling, ou le football tout court.

« Dans chaque communauté, vous trouverez un terrain de football gaélique, un sport national qui se joue seulement ici », souligne l’ancien troisième-ligne, qui a, toutefois, un argument pour promouvoir le ballon ovale : « Si tu veux représenter l’Irlande à l’étranger, mieux vaut le rugby. » Raisonnement également valable pour la province du Leinster en Coupe d’Europe.