Après sa victoire sur le 50 m papillon, le 16 avril aux championnats de France, à Rennes. / DAMIEN MEYER / AFP

Sur les affiches des championnats de France, qui se déroulent jusqu’à dimanche à Rennes, son visage s’étale au premier plan, devant ceux de Charlotte Bonnet et Jérémy Stravius, les autres piliers de l’équipe de France de natation, en attendant le retour à la compétition de Florent Manaudou. Après ses trois médailles européennes l’été dernier à Glasgow (bronze sur 100 m, argent sur 100 m papillon, or sur le relais 4×100 mixte), Mehdy Metella, 26 ans, a connu une panne de motivation. A trois mois des Mondiaux de Gwangju (Corée du Sud), pour lesquels il est déjà qualifié sur 100 m et 100 m papillon, le pensionnaire du Cercle des nageurs de Marseille se livre à une introspection.

Vous avez semble-t-il traversé un hiver difficile ? Pour quels motifs ?

Au cours de la semaine de Noël, je me suis senti un peu perdu. Je ne me sentais pas bien dans ma peau. Il y a quinze ans, j’habitais aux Ames-Claires [à Cayenne] dans une cité, là j’ai 26 ans j’achète mon appart, j’ai mon petit chien, tout va bien. Normalement je devrais sourire. Mais d’un coup j’ai eu un flash : dans la nuit je me suis levé et je me suis rendu compte que je pleurais. J’étais bouleversé, j’étais perdu. Je me suis levé, en me disant : où je suis en fait ?

De quoi avez-vous pris conscience ?

Depuis 2016, je n’appréciais pas les médailles que je gagnais. Je n’avais aucun goût pour la médaille. [Après les Jeux de Rio], on était avec des potes en boîte, on était bien, on était heureux, d’un coup on commence à chanter et je n’y arrivais pas. Mon pote me dit : « t’es vice-champion olympique c’est super » et je lui réponds « arrête, c’est bon… ». En fait je suis trop modeste, je n’arrive pas à savourer. Je suis content juste de me battre, je savoure plus ça que la médaille. Depuis septembre, j’allais à l’entraînement et je ne sentais pas l’étincelle, la flamme était éteinte on va dire.

Quand le déclic est-il survenu ?

Quand on était à Cape Town [Afrique du Sud], en stage en février, j’ai eu ce déclic car j’avais besoin de savoir où j’en étais. Et aussi au niveau de la vie privée. C’est comme un problème de maths à l’école primaire. Quand on lit un problème, on veut tout de suite calculer. Mais en fait, la réponse, elle est dans le problème. Eh bien c’était pareil pour moi. Je n’arrivais pas à trouver mes sources de motivation. Ma réponse, c’était juste de travailler et aimer les personnes qui sont autour de moi.

Ces problèmes-là sont désormais derrière vous ?

Le lendemain [du flash], je ne me sentais pas mieux mais j’avais une sorte de bille en moins. Je créais une bille chaque jour dans mon corps qui pesait lourd. Depuis Cape Town, ces billes partent au fur et à mesure et je me sens mieux. Je suis allégé, libéré. Des fois, je rentrais chez moi après l’entraînement et je ne pensais qu’à la natation.

Même si je n’avais pas bien nagé à l’entraînement, je ne considérais pas l’échec comme un apprentissage pour l’avenir. Je m’enfermais et ça, ce n’est pas moi. D’habitude, si je rencontre un échec je m’en fous, je m’en sers pour faire mieux le lendemain et là, j’arrivais pas.

Dans quel état d’esprit avez-vous débarqué à Rennes ?

Tranquille. Comme si je partais en vacances… ça fait du bien. Oui y’a quand même du stress car le soir il faut gagner, il faut défendre les titres [il défend ce vendredi son titre sur 100 m nage libre et celui sur 100 m papillon dimanche] mais j’arrive à mieux le gérer aux championnats de France qu’aux championnats du monde ou aux JO parce que l’enjeu n’est pas le même. Mais ça va, je suis bien. Je suis zen. Mais j’ai quand même envie de gagner.

Vous vous sentez affûté physiquement ?

Je suis mieux que mon poids de forme (96 kg), là je suis à 95 kg. Quand j’atteins les 98 kg ou les 100 kg je ne suis pas bien mentalement. Là, on va dire que je suis un peu en forme… [sourires].

Aux Mondiaux cet été, laquelle des deux courses (100 m nage libre et 100 papillon) sera votre priorité ?

Les deux, y’a pas de préférence.

L’objectif à Gwangju, ce sera quoi ?

J’y vais surtout pour une médaille individuelle, pour me redonner vraiment le sourire. Si j’ai l’or je prends l’or, mais je vise un podium c’est tout.

Etes-vous très exigeant envers vous-même ou la pression, vous laissez les autres vous la mettre ?

Non, je ne me mets aucune pression, j’arrive à me gérer. Les médias n’arrivent pas à me mettre la pression. Y’a que mon coach qui peut me la mettre.

« Après 2020 si j’ai ma petite médaille [aux Jeux de Tokyo], j’ai dit à mon coach que le 100 m ce serait fini »

Vous avez longtemps évolué dans l’ombre de Florent Manaudou et Yannick Agnel plus jeune : aujourd’hui, vous sentez-vous l’âme d’un leader en équipe de France ?

Ça fait sourire de se voir sur les affiches, mais non je ne me sens pas du tout un leader. Je vis ma vie seul quand je suis en équipe de France. C’est « bonjour, au revoir, ça va ? Tranquille oui. T’as bien nagé ? » C’est tout. Je ne suis pas capitaine de l’équipe.

Vous verriez-vous assumer ce rôle quand Jérémy Stravius (30 ans) quittera les bassins ?

Si Jérémy part, oui je pense que je vais prendre ce rôle de capitaine. Je pense que c’est très important de transmettre le flambeau aux autres même si ça, on l’a déjà dans le sang au Cercle des nageurs de Marseille. Je pense que dans les autres clubs, ils n’ont pas forcément ce style de motivation.

L’annonce du retour de Florent Manaudou vous a-t-elle surpris ?

Pas du tout. Parce qu’en 2016, quand il dit « les gars je vais prendre ma retraite », je lui fais « OK rendez-vous dans deux ans… ». C’était gros comme une maison. Quand j’ai entendu qu’il allait faire du handball j’ai dit : « ça va durer deux ans et rebonjour Manaudou. »

Peut-il effectuer un retour gagnant d’après vous ?

Faut déjà le laisser arriver en finale, après on verra. Parce que ça avance très vite…

Envisagez-vous, comme lui, de vous consacrer uniquement au 50 m nage libre ?

Oui, après 2020 si j’ai ma petite médaille [aux Jeux de Tokyo], j’ai dit à mon coach que le 100 m ce serait fini. Le 50 m c’est pas comme un 100 m, t’as plus de liberté. Je ferai peut-être d’abord un break, ça veut dire faire les entraînements, les championnats de France mais sans totalement être investi et après, je me mettrai au 50 m.

Avec les Jeux de Paris en 2024 en ligne de mire ?

Oui, grave.