Pas de slogan tapageur ou de grandes banderoles, justes quelques dizaines d’uniformes réunis, tous grades confondus, devant un commissariat. Comme partout ailleurs en France, les policiers du 13e arrondissement sont descendus pendant une demi-heure devant leurs locaux pour se recueillir et marquer leur soutien après le suicide d’un de leurs collègues, qui travaillaient à la division régionale de la sécurité routière, à quelques rues de là, dans ce quartier du sud-est de la capitale.

Le jeune homme de 25 ans s’est donné la mort avec son arme de service à son domicile de Villejuif (Val-de-Marne), jeudi 18 avril. Quelques heures plus tôt, c’est une capitaine de 48 ans, mère de deux jeunes filles, qui avait été retrouvée sur son lieu de travail, à l’hôtel de police de Montpellier, une balle en plein cœur.

« On est partis sur des bases terribles pour 2019, même pire qu’en 1996, l’année la plus noire jusqu’à présent avec 70 morts », souffle une source policière.

Ces deux décès portent à 28 le nombre de policiers suicidés depuis le début de l’année. Une tendance très inquiétante, quand on la compare aux chiffres, déjà mauvais, des années précédentes. En 2018, 35 policiers s’étaient suicidés, ainsi que 33 gendarmes. « Avec les suicides on ne peut jamais extrapoler, parce qu’il y a souvent des vagues, mais on est partis sur des bases terribles pour 2019, même pire qu’en 1996, l’année la plus noire jusqu’à présent avec 70 morts », souffle une source policière.

« La pression de l’uniforme »

Interrogé sur la question, vendredi 19 avril, lors d’une conférence de presse, Christophe Castaner a rappelé ses annonces de la semaine passée et a fixé au 29 avril le lancement d’une « cellule alerte prévention suicide », avec un numéro de téléphone, accessible 24 heures sur 24 pour mettre les policiers en souffrance en relation avec des psychologues. En visite à l’hôpital des gardiens de la paix à Paris, vendredi 12 avril, il avait promis d’accélérer la mise en place du plan antisuicide lancé en 2018 par son prédécesseur, Gérard Collomb. C’est Noémie Angel, issue de la sous-direction de la prévention, de l’accompagnement et du soutien du ministère de l’intérieur qui pilotera ce dispositif spécial.

Un geste apprécié des policiers mais qui reste en deçà des attentes en la matière. « Les journées dramatiques s’enchaînent à un rythme insoutenable et jamais connu », ont estimé dans un communiqué l’ensemble des syndicats, tous corps confondus. Une unanimité rare, qui souligne la gravité de la situation. Ce sont ces organisations qui avaient appelé aux rassemblements devant les commissariats.

« Chaque fois, c’est pour raisons personnelles alors même qu’on n’a pas encore commencé les investigations », raille un policier.

Un mode d’action qui, une fois n’est pas coutume, avait reçu l’aval du ministre. « Je comprends parfaitement l’initiative des organisations syndicales », a expliqué Christophe Castaner, qui a ajouté qu’il avait parlé de « ce fléau » lors de tous ses vœux de rentrée. Les policiers n’ont habituellement pas le droit de manifester en tenue et sont soumis à un devoir de réserve. La plupart d’entre eux ont d’ailleurs refusé de s’exprimer, renvoyant vers leurs leaders syndicaux.

Le ministre de l’intérieur a, par ailleurs, appelé à ne pas minimiser le rôle des conditions de travail dans les suicides, un « phénomène complexe qui a un ensemble de causes ». « Il y a la passion de l’uniforme, mais aussi la pression de l’uniforme », a-t-il déclaré. Un changement de discours bienvenu pour les policiers qui estiment que les « raisons personnelles » sont trop souvent invoquées par l’administration pour se défausser. « Les suicides de policiers, ce sont les enquêtes les plus facilement résolues : chaque fois, c’est pour raisons personnelles alors même qu’on n’a pas encore commencé les investigations », raille un policier.