Une image de l’interpellation de Gaspard Glantz, samedi 20 avril place de la République à Paris. / ZAKARIA ABDELKAFI / AFP

Le journaliste indépendant Gaspard Glanz a été déféré au tribunal de Paris, lundi 22 avril, en vue d’une convocation à une audience ultérieure, a fait savoir au Monde le parquet de Paris. Le vidéaste fondateur de l’agence Taranis News, spécialiste des images d’immersion dans les manifestations, avait été interpellé et placé en garde à vue, samedi, lors d’un rassemblement de « gilets jaunes », à Paris, pour « participation à un groupement en vue de commettre des violences ou des dégradations » et « outrage sur personne dépositaire de l’autorité publique ».

« C’est du harcèlement », a estimé son avocat, Raphaël Kempf, quelques heures plus tôt, lors d’un rassemblement de soutien devant le commissariat du 12e arrondissement de Paris. Me Kempf espérait alors éviter le défèrement de son client. « La garde à vue de Gaspard Glanz est une atteinte à la liberté de la presse et la liberté d’informer. Elle était disproportionnée et illégale. Si on voulait l’interroger pour un doigt d’honneur qu’il aurait fait aux forces de l’ordre, on n’avait pas besoin de le garder à vue, on pouvait le convoquer au tribunal », avait-il dénoncé.

Sur des vidéos de son interpellation, filmée notamment par Hors Zone Press, on aperçoit le journaliste indépendant adresser un doigt d’honneur à un policier qui l’avait bousculé, avant d’être aussitôt interpellé. Un geste qui entre dans la définition de l’outrage, prévu par l’article 433-5 du code pénal. Selon la rubrique Check News de Libération, Gaspard Glanz avait auparavant interpellé le groupe de CRS, demandant à parler « au commissaire » après avoir été visé par un tir de grenade lacrymogène. Une source judiciaire précise au Monde que sa garde à vue avait justement été prolongée afin de « permettre la poursuite des investigations en présence de la personne ».

« #FreeGaspardGlanz »

Pour son avocat, les poursuites contre son client sont une forme de pression politique. Il dénonce notamment le deuxième chef d’infraction retenu contre son client lors de sa garde à vue : « Le motif de participation à un groupement en vue de commettre des violences ou des dégradations est un délit qui punit une intention et non pas des actes. Gaspard Glanz, comme des milliers de manifestants, est mis en cause en raison de ce texte et nous espérons que celui-ci sera abrogé », assure-t-il.

Lundi, à 10 heures, une cinquantaine de personnes se sont rassemblées devant le commissariat où M. Glanz était gardé a vue. Parmi eux, des soutiens, dont certains lui ont déployé une banderole « Joyeux anniversaire #FreeGaspard Glanz ». Aux nombreux smartphones sortis pour filmer le rassemblement – parfois en direct – s’ajoutaient les médias venus écouter le point presse de l’avocat.

« Le Syndicat national des journalistes et la profession sommes scandalisés, a lancé Dominique Pradalié, secrétaire générale du SNJ. On a rarement vu une telle répression contre les journalistes dans notre pays. Nous sommes aux côtés de dizaines de confrères qui ont porté plainte pour violences de la police. Un journaliste a eu la rotule cassée récemment, une autre sa carte de presse subtilisée… »

« Les médias ne jouent pas assez leur rôle de contre-pouvoir »

M. Glanz avait pourtant plusieurs fois critiqué le SNJ, accusé de ne pas assez défendre les journalistes sans carte de presse, comme lui. « La liberté ne se divise pas », a philosophé en réponse Mme Pradalié. Dimanche, le SNJ et Reporters sans frontières (RSF) avaient dénoncé des atteintes à la liberté d’informer, après notamment l’interpellation de Gaspard Glanz et d’Alexis Kraland, un autre vidéaste indépendant.

Outre l’ex-auteur des « Guignols » Bruno Gaccio et le comédien et musicien Yvan Le Bolloc’h, l’économiste de gauche Thomas Porcher était présent pour soutenir Gaspard Glanz devant le commissariat lundi : « Il y a une vraie entrave à la liberté d’informer, a estimé celui qui a récemment quitté la liste Place publique, fondée avec Raphaël Glücksmann. Tous les journalistes et les intellectuels devraient se mobiliser. »

Un couple de trentenaires en tenue d’été – Kaspar Vogler et Linda Mentfakh – faisait aussi partie des personnes venues en soutien. Réalisateur de cinéma, M. Vogler ne participe pas aux manifestations des « gilets jaunes » et « se sent de gauche, plutôt PS », mais « a l’impression de se radicaliser et que plus personne ne nous représente ». « Les médias ne jouent pas assez leur rôle de contre-pouvoir aujourd’hui, estime-t-il. Gaspard Glanz incarne, avec quelques autres, une certaine forme d’indépendance. Même si son information peut être un peu partisane, c’est nécessaire aujourd’hui. »

Loi travail, Calais, Notre-Dame-des-Landes…

Taranis News s’est fait connaître pour ses images de mouvements sociaux, souvent au cœur des affrontements entre manifestants et policiers, lors de la contestation de la loi travail, ou encore des protestations contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes… Souvent accusé de « militantisme », Gaspard Glanz se revendique toujours « journaliste ». Il reflète une nouvelle génération de vidéastes immergés dans les mouvements sociaux, filmant avec du matériel léger, parfois en direct.

Ce n’est pas la première fois, loin de là, que Gaspard Glanz fait l’objet de procédures. En 2016, il avait été placé en garde à vue alors qu’il couvrait le démantèlement de la « jungle » de Calais. Et poursuivi pour deux motifs : d’abord le vol d’un talkie-walkie de CRS dans le camp de migrants – il l’avait « ramassé » sur le sol et a fait pour cela l’objet d’une condamnation à une amende « symbolique », assure son avocat. Et aussi injure publique sur douze fonctionnaires de police de Rennes, montrés en photo sur un post Facebook, avec en commentaire le slogan nazi « Ein Volk, Ein Reich, Ein Führer » – il a été relaxé, selon son avocat.

Facebook Gaspard Glanz

A l’époque, M. Glanz avait été soumis à un contrôle judiciaire et avait découvert qu’il faisait l’objet d’un arrêté d’interdiction de séjour dans l’arrondissement de Calais. Gaspard Glanz fait aussi l’objet d’une « fiche S » visant les gens considérés comme des menaces pour la sûreté de l’Etat, précise son avocat, qui conteste ce fichage.