L’offensive judiciaire lancée en Algérie contre de puissants patrons depuis la chute du président Abdelaziz Bouteflika a fait une nouvelle victime. Le patron du géant pétrolier et gazier public algérien Sonatrach, Abdelmoumen Ould Kaddour, a été limogé, a annoncé mardi 23 avril la télévision nationale algérienne. Une annonce survenant après celle de la mise en détention provisoire de la première fortune du pays, Issad Rebrab.

Un nouveau PDG, Rachid Hachichi, a été nommé pour succéder à M. Ould Kaddour, qui dirigeait Sonatrach depuis 2017. Le nouveau PDG, le onzième en dix-neuf ans, a passé toute sa carrière à la division production du groupe. Il avait été mis à l’écart par Amine Mazouzi, prédécesseur de M. Ould Kaddour, puis était revenu il y a un peu plus d’une année à son poste de directeur production, selon une source proche du groupe pétrolier.

Aucune explication n’a été donnée sur les raisons de ce limogeage, opéré par le chef d’Etat par intérim Abdelkader Bensalah, à la tête d’un groupe crucial pour l’économie algérienne. L’Algérie est depuis le 22 février le théâtre d’une contestation inédite qui a contraint Abdelaziz Bouteflika à quitter le pouvoir. Mais les protestataires réclament toujours le départ de l’ensemble de la « mafia » au pouvoir, dénonçant un « système » basé sur la corruption et ayant profité à des hommes d’affaires proches du clan présidentiel.

Depuis la démission le 2 avril du président Abdelaziz Bouteflika, sous la pression d’un important mouvement de contestation populaire, la justice a ouvert des enquêtes contre plusieurs hommes d’affaires liés à l’ancien clan présidentiel.

D’autres industriels visés

Lundi, Issad Rebrab, PDG du principal groupe privé et première fortune du pays, a été placé en détention provisoire. L’homme d’affaires est le fondateur de Cevital, un conglomérat affirmant employer 18 000 salariés sur trois continents, dans l’agroalimentaire, le BTP, la sidérurgie, la distribution, l’électronique et l’électroménager. Le magazine Forbes estime sa fortune à 3,8 milliards de dollars, la 1re d’Algérie et la 6e d’Afrique.

Il est « soupçonné de fausses déclarations relatives à des mouvements de capitaux de et vers l’étranger, de surfacturation d’équipements importés et d’importation de matériel usagé malgré l’octroi d’avantages bancaires, fiscaux et douaniers » octroyés au matériel neuf, selon l’agence de presse officielle Algérie Presse Service (APS).

M. Rebrab avait fondé Cevital en 1998, un an avant l’arrivée au pouvoir d’Abdelaziz Bouteflika, sur les bases d’une entreprise sidérurgique, Metal Sider, créée dix ans plus tôt, quand l’économie de l’Algérie était encore profondément étatique.

Accélérer les enquêtes

Quatre frères de la discrète mais influente famille Kouninef, propriétaire de l’important groupe KouGC, spécialisé notamment dans le génie civil, l’hydraulique et le BTP, ont également été arrêtés dimanche et déférés devant le parquet mardi, selon les médias d’Etat. La famille est réputée proche de Saïd Bouteflika, frère et puissant conseiller de l’ex-président.

Selon APS, les frères Kouninef sont soupçonnés de « non-respect des engagements contractuels dans la réalisation de projets publics, trafic d’influence avec des fonctionnaires publics pour l’obtention de privilèges et détournement de fonciers et de concessions ».

Début avril, l’ex-patron des patrons algériens, Ali Haddad, propriétaire notamment du premier groupe de BTP d’Algérie et proche de M. Bouteflika, a été écroué après son arrestation nocturne à un poste frontière avec la Tunisie en possession de devises non déclarées.

Le 16 avril, le chef d’état-major de l’armée, le général Gaïd Salah, de facto l’homme fort de l’Algérie depuis qu’il a contribué à pousser M. Bouteflika à la démission, a appelé la justice à accélérer « la cadence de traitement » dans ses enquêtes sur des personnalités « ayant bénéficié indûment » d’argent public.

Le géant public des hydrocarbures a été secoué ces dernières années par une série de scandales financiers qui ont fait l’objet d’enquêtes en Algérie et à l’étranger.

Les hydrocarbures rapportent à l’Algérie plus de 95 % de ses recettes extérieures et contribuent pour 60 % au budget de l’Etat. L’Algérie produit 1,2 million de barils par jour, correspondant à son quota fixé par l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP).

L’Algérie, malade de son pétrole
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Notre sélection d’articles pour comprendre la contestation en Algérie

La démission du président algérien Abdelaziz Bouteflika, le 2 avril, est une humiliante capitulation face à une population en révolte depuis la fin février. Le mouvement de protestation le plus important des deux dernières décennies en Algérie a poussé des dizaines de milliers de personnes dans les rues pour exprimer leur opposition à un cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika.

Retrouvez ci-dessous les contenus de référence publiés par Le Monde pour comprendre la crise que traverse le pays :

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