Un Bombardier Global 5000 appartenant à la flotte gouvernementale est remorqué à l’aéroport de Berlin-Schönefeld, le 16 avril. / PAUL ZINKEN / AFP

LETTRE DE BERLIN

Il était 9 h 30, mardi 16 avril, quand le trafic fut soudainement interrompu à l’aéroport de Berlin-Schönefeld. En cause, « la présence d’un avion défectueux sur la piste de décollage et d’atterrissage », annonça le service d’information des aéroports berlinois, une demi-heure plus tard, sur Twitter. A la mi-journée, la piste fut rouverte à la circulation. A priori, pas de quoi faire les gros titres de l’actualité. Mais « l’avion défectueux » n’était pas n’importe quel avion.

Dès le milieu de la matinée, le quotidien Bild révéla en effet qu’il s’agissait d’un Bombardier Global 5000 appartenant à la flotte gouvernementale, et qu’il avait dû se poser en urgence à Schönefeld peu après avoir quitté l’aéroport – sans passager à bord – en direction de Cologne. Quelques heures plus tard, la ministre de la défense, Ursula von der Leyen, rendit hommage à l’équipage de la Luftwaffe – l’armée de l’air, responsable des appareils mis à la disposition du gouvernement – qui « ramena l’avion au sol dans des conditions particulièrement difficiles et évita ainsi le pire ».

Inutile de préciser que l’appareil, contrairement à ce qui était prévu, n’a pas servi, le lendemain, à transporter le président de la République, Frank-Walter Steinmeier, qui devait l’emprunter pour aller à Stuttgart. Selon un rapport d’expertise de la Bundeswehr révélé par le Spiegel, vendredi 19 avril, l’atterrissage – qui se fit sur l’herbe avant que l’avion ne fût ramené sur la piste – fut en effet tellement périlleux que les ailes ont subi des « dommages structurels » et que la coque elle-même a été endommagée.

Incident de gravité majeure

D’après le rapport, l’appareil se trouvait à 6 000 mètres d’altitude quand le pilote, constatant « de graves problèmes dans les commandes de vol », décida de faire demi-tour. Un incident de catégorie A, le degré de gravité majeure, ont conclu les experts de la Bundeswehr.

Les déboires des avions du gouvernement allemand ne datent pas d’hier. A son arrivée au pouvoir, en 2005, Angela Merkel avait hérité d’une flotte vétuste, composée de deux Airbus en fin de course et d’autres appareils dont certains étaient déjà utilisés par les dirigeants d’ex-Allemagne de l’Est dans les années 1970.

Après un long débat parlementaire, la flotte fut en partie renouvelée au début du second mandat de Mme Merkel (2009-2013). Il en coûta près d’un milliard d’euros à l’Etat allemand. En 2011, deux Airbus A340 vinrent notamment remplacer les deux vieux A310 utilisés par le gouvernement depuis le début des années 1990. Au fil des années, l’un des deux nouveaux appareils, le A340 Konrad-Adenauer, n’en est pas moins devenu lui aussi célèbre pour ses pannes à répétition.

Rien que sur les douze derniers mois, il a ainsi connu quatre incidents. En juin 2018, une défaillance du système hydraulique empêcha M. Steinmeier de rejoindre Minsk, où il devait participer à l’inauguration d’un monument en mémoire des juifs assassinés par les nazis en Biélorussie. En octobre, le ministre des finances, Olaf Scholz, qui se trouvait à Bali pour la réunion annuelle du Fonds monétaire international, dut rentrer en Allemagne sur un vol commercial, des rongeurs s’étant attaqués à des câbles électriques du Konrad-Adenauer.

Un mois plus tard, celui-ci fut contraint de se poser en urgence à Cologne à cause d’un problème électrique touchant le système de communication. Cette fois, c’est Mme Merkel qui était à bord. Elle arriva avec douze heures de retard au G20 de Buenos Aires, via Madrid, où elle embarqua dans un avion de ligne.

Après ce troisième incident en moins d’un semestre, le Konrad-Adenauer partit en révision pendant quatre mois. Il reprit du service le 1er avril, mais ce jour-là, l’atterrissage à New York ne se déroula pas comme prévu : une roue endommagée empêchant l’avion de rejoindre son point de stationnement, le ministre des affaires étrangères, Heiko Maas, ne put arriver à l’heure aux Nations unies, et ce, le jour même où l’Allemagne prenait, pour un mois, la présidence du Conseil de sécurité…

L’état préoccupant de l’armée allemande

Jusqu’à récemment, les membres du gouvernement victimes de ces déconvenues évitaient d’en parler publiquement, soucieux de ne pas alimenter eux-mêmes le débat sur l’état préoccupant de l’armée allemande, en particulier de la Luftwaffe, dont moins de la moitié des Eurofighter, des Tornado et des avions de transport militaire sont en état de voler, selon le dernier rapport annuel du commissaire parlementaire aux forces armées, publié en janvier.

Les choses ont changé en janvier, à l’occasion de la rocambolesque tournée africaine du ministre du développement, Gerd Müller, dont le Bombardier Global 5000 − un autre appareil que celui qui a atterri en urgence à Schönefeld – est tombé deux fois en panne en cinq jours. Obligé d’annuler son étape en Namibie, puis de regagner en Allemagne en avion de ligne depuis la Zambie via l’Afrique du Sud, le ministre a piqué une grosse colère. « Le Made in Germany en a pris un gros coup en Afrique. Nous sommes au niveau d’un pays en développement. La chancelière et ses ministres doivent pouvoir voler sans problème à tout moment », s’est-il emporté, sur place, face à la presse.

Face à cette situation de plus en plus embarrassante, la ministre de la défense a annoncé, début février, vouloir acquérir trois nouveaux Airbus A350-900 pour remplacer à terme les deux A340 acquis en 2011, dont le Konrad-Adenauer. Six semaines plus tard, la commission du budget du Bundestag se réunissait pour débloquer 1,2 milliard d’euros en vue de l’achat des nouveaux appareils, dont le premier devrait être opérationnel en 2020. Le feu vert du Bundestag a été donné le 9 avril. Six jours avant le grave incident de Schönefeld.