Le service client est sur mesure. Jack Dorsey, le PDG de Twitter, s’est rendu à la Maison Blanche mardi 23 avril sur invitation de Donald Trump. Le président américain détient l’un des comptes les plus importants du réseau social (@realDonaldTrump, 59,9 millions d’abonnés) et l’utilise continuellement pour partager ses humeurs, diffuser des déclarations politiques, remercier ses soutiens, attaquer ses adversaires ou conspuer certains titres de presse.

Mais malgré l’aura dont il dispose, Donald Trump ne semble pas être un utilisateur comblé. Le locataire de la Maison Blanche est un habitué des critiques contre le réseau social, qu’il a à nouveau accusé, mardi, de participer à « un jeu politique » qui viserait à diminuer sa portée sur la plateforme. Il avait déjà formulé ces reproches auparavant, dans la lignée de certains Républicains qui accusaient les grandes plateformes du numérique de favoriser les Démocrates à travers des choix de modération et de paramétrages.

« Ils ne me traitent pas bien en tant que Républicain. […] Suppriment constamment des comptes. Lourdes plaintes de beaucoup de personnes », avait écrit Donald Trump sur Twitter quelques heures avant leur rencontre.

« Super rencontre »

Quelques heures plus tard, les différends semblaient réglés. « Super rencontre à la Maison Blanche avec @jack de @Twitter. Beaucoup de sujets abordés à propos de leur plateforme et le monde des réseaux sociaux en général. Hâte de garder le dialogue ouvert », postait Donald Trump après son entretien :

Jack Dorsey, qui fait partie des créateurs de Twitter en 2006, lui a répondu directement : « Merci pour votre temps. Twitter existe pour être au service de toutes les conversations publiques, et nous voulons les rendre plus saines et plus courtoises. Merci pour la conversation sur le sujet. »

Les observateurs auront eu tôt fait de pointer l’ironie de la situation : celle du PDG d’un réseau social qui parle de courtoisie en ligne avec l’un de ses membres les plus prestigieux, mais aussi régulièrement auteur de violentes saillies et de tweets problématiques.

Politesses vides de sens

A titre d’exemple, le 12 avril, l’élue démocrate musulmane Ilhan Omar recevait sur Twitter de nombreuses menaces de mort après que Donald Trump a posté un montage vidéo où des propos polémiques de l’élue sur le 11-Septembre étaient associés à des images des tours jumelles en feu. Un tweet aussitôt dénoncé comme une « incitation à la violence » de la part du président. Pendant ce temps-là, Twitter décidait de laisser certaines menaces de mort contre Ilhan Omar en ligne, pour les besoins, selon eux, d’une enquête.

Après sa rencontre avec le président américain, Jack Dorsey répète au mot près une ligne de communication développée par Twitter depuis plus d’un an, selon laquelle l’objectif numéro 1 du réseau social est de « rendre la conversation plus saine ». Pourtant, on peut toujours reprocher à Twitter, en vrac : ses règles d’utilisation permissives en termes de liberté d’expression ; des équipes de modération sous-calibrées ; un fonctionnement qui favorise les messages courts et émotifs ; de multiples cas où des internautes ont harcelé, insulté, diffusé de la haine ou de la violence, sans être inquiétés, sauf en cas de dépôt de plainte des victimes devant la justice.

En France, le réseau social est ainsi pris en exemple par la députée Laetitia Avia, qui porte un projet de loi pour lutter contre la haine sur Internet, comme espace où les procédures de modération sont inefficaces. Fin 2018, Amnesty International tirait aussi la sonnette d’alarme en démontrant que Twitter restait un « un espace où le racisme, la misogynie et l’homophobie prospèrent sans entrave ».

« Twittanic »

Jusqu’à présent, l’échec de Jack Dorsey à refonder le fonctionnement et la philosophie de Twitter est même criant, même si les derniers résultats communiqués par l’entreprise mardi 23 avril ont rassuré les investisseurs en Bourse (le nombre d’usagers quotidiens qui peuvent voir des publicités sur Twitter s’élevant désormais à 134 millions, contre 120 millions en 2018 à la même époque).

Mais lors d’une toute récente conférence TED retranscrite avec alarmisme par le magazine Wired, Jack Dorsey a surtout répondu par des soupirs, ou des éléments de langage peu concrets, à l’un des conférenciers qui détaillaient les raisons du « Twittanic » en cours, du point de vue de nombreux utilisateurs regrettant la violence et les abus permis par le réseau social.

Est-ce que ces comportements problématiques des internautes, et les changements ou réflexions à opérer sur des sujets aussi épineux et délicats que les conditions de la liberté d’expression sur Internet, ont été évoqués par Donald Trump et Jack Dorsey lors de leur entretien ? On ne le saura pas, le contenu de leur discussion étant privé. Un porte-parole de Twitter a seulement indiqué après le rendez-vous : « Ils ont discuté du fait que Twitter s’est engagé à protéger la qualité du débat public à l’approche des élections américaines de 2020 ».

Selon le Washington Post, qui cite une source anonyme, une partie des échanges a plutôt concerné les inquiétudes de Donald Trump face à… la diminution de son nombre d’abonnés. Jack Dorsey a pu toutefois le rassurer, et lui expliquer, toujours selon le Washington Post, que cela ne le visait pas directement en tant que « Républicain », et qu’il s’agissait des effets des dernières opérations de nettoyage, opérés par Twitter depuis 2018, pour supprimer massivement les comptes spams ou inactifs.

« Réduire le fardeau »

Ces purges Twitter font, du reste, partie des axes mis en avant par le réseau social dans son combat contre les comportements abusifs. Alors que Facebook communique volontiers sur les renforts de ses équipes humaines de modération, Twitter explique davantage comment ses logiciels s’entraînent désormais automatiquement à repérer et supprimer les comptes et messages problématiques.

« Nous avons adopté une approche plus proactive dans la réduction des abus, expliquait encore Jack Dorsey mardi lors de sa conférence de presse accompagnant la publication des résultats trimestriels. Nous réduisons le fardeau imposé aux victimes et tentons de prendre, lorsqu’il est possible de le faire, des mesures avant que ces abus soient rapportés. »

La réponse du président Trump a pourtant été on ne peut plus claire : nettoyer Twitter, d’accord, à condition de conserver intacte sa force de frappe sur le réseau social, construite sur des tweets impulsifs voire violents. La posture tend même, ironiquement, à fragiliser les débuts de progrès de Twitter en matière de modération, vantés par Jack Dorsey sur la lutte contre les faux comptes.

Les deux tweets postés par @realDonaldTrump et @jack ont beau être enthousiastes : ils confirment surtout qu’aucune amorce de « changement structurel » promis par Twitter depuis plus d’un an n’est encore en vue.