Le PDG de Nissan, Hiroto Saikawa, à Yokohama (Japon), en mai 2017. / Toru Hanai / REUTERS

Le bureau des procureurs de Tokyo a fait appel, jeudi 25 avril, de la décision d’un juge d’autoriser la libération sous caution de Carlos Ghosn, a annoncé le tribunal de Tokyo dans un communiqué laconique. Ce recours suspensif intervient peu après l’accord donné à la sortie de prison de l’ex-magnat de l’automobile, moyennant le paiement de 500 millions de yens (4 millions d’euros). Détenu dans la capitale japonaise après une nouvelle arrestation il y a trois semaines, M. Ghosn est sous le coup de quatre inculpations pour malversations financières présumées.

Pour autant, les affaires continuent. En pleine réorganisation depuis les démêlés judiciaires de son ancien dirigeant, Nissan a nettement revu à la baisse, mercredi, ses prévisions de résultats pour l’exercice 2018, clos fin mars. Le constructeur nippon a annoncé s’attendre à des profits opérationnels en recul de 45 % sur un an, à 318 milliards de yens (2,5 milliards d’euros).

Il s’agit de la deuxième révision à la baisse des résultats, après celle de février, en attendant l’annonce des chiffres officiels, le 14 mai. Fin mars, le constructeur avait par ailleurs annoncé avoir vendu 4,97 millions de véhicules dans le monde entre avril 2018 et février 2019, un chiffre en repli de 4 % par rapport à la même période de l’année précédente. Les ventes ont crû au Japon et en Chine, mais elles ont plongé de 14 % en Europe et, surtout, de 10 % aux Etats-Unis.

Ce dernier marché, où Nissan ne devrait pas avoir vendu plus de 1,44 million de véhicules au terme de l’exercice, génère environ 40 % de ses profits opérationnels. Or le constructeur y « rencontre des problèmes », a reconnu son PDG, Hiroto Saikawa.

Outre une conjoncture difficile – Toyota et Honda connaissent aussi des difficultés –, Nissan peine à se sortir de son onéreux système d’aides à la vente, développé sous l’impulsion de M. Ghosn pour gagner rapidement des parts de marché.

« Peurs égoïstes »

Nissan a aussi du mal à adapter ses capacités de production à une demande en baisse. Le constructeur les a réduites de près de 10 % à l’été 2018 en Amérique du Nord. Mais la durée de stockage aux Etats-Unis reste en moyenne à 64 jours, contre 59 pour Toyota.

Dans le même temps, l’image de Nissan a souffert des quatre arrestations et mises en examen (la dernière le 22 avril pour abus de confiance aggravé) de M. Ghosn. Ce dernier, qui continue de nier toute malversation et se trouve actuellement en détention préventive, en attendant l’éventuelle libération sous caution demandée par ses avocats, a lié les piètres performances de Nissan à ses problèmes judiciaires.

Chez Nissan, l’heure semble venue de solder l’héritage de l’homme d’affaires qui a redressé le constructeur il y a vingt ans au prix de mesures draconiennes

Dans une vidéo rendue publique le 9 avril, au lendemain de son renvoi du conseil d’administration de Nissan, il s’en prenait à « quelques dirigeants, qui, manifestement pour leurs propres intérêts et au nom de leurs peurs égoïstes, détruisent beaucoup de valeur », une attitude qu’il jugeait « écœurante ».

Chez Nissan, l’heure semble toutefois venue de solder l’héritage de l’homme d’affaires qui a redressé le constructeur il y a vingt ans au prix de mesures draconiennes, notamment la fermeture de cinq usines et la suppression de 21 000 postes.

M. Saikawa a déjà annoncé vouloir extraire Nissan de la politique de Carlos Ghosn, axée sur les volumes, privilégier la rentabilité des véhicules et concentrer ses efforts sur le marché chinois, toujours prometteur malgré la morosité ambiante.

Refonte de l’organigramme

Désireux, dans un premier temps, d’« améliorer et [de] consolider la gouvernance et [de] stabiliser les activités tout en renforçant l’organisation de la gestion », le constructeur poursuit la refonte de son organigramme, avant l’assemblée générale des actionnaires, prévue en juin.

Le 24 avril, le groupe a anoncé qu’il recréait le poste de directeur opérationnel (COO), supprimé en 2013. C’est Yasuhiro Yamauchi qui occupera cette fonction à compter du 16 mai. Entré chez Nissan en 1981, il est aujourd’hui responsable de la concurrence.

Selon un accord passé avec Renault, le poste de COO devait revenir à un cadre du constructeur français. Renault l’aurait demandé, mais Nissan aurait refusé, consentant seulement à promouvoir Christian Vandenhende – venu de Renault donc – au poste de vice-COO.

Dans le même temps, Nissan a annoncé le départ, le 15 mai, de Daniele Schillaci, vice-président chargé du marketing et des ventes mondiales. Considéré comme un proche de Carlos Ghosn, il quitte le constructeur, comme l’ont fait deux autres membres de l’équipe rapprochée du dirigeant déchu. Le directeur de la performance, José Munoz, est parti en janvier. Le directeur chargé des ressources humaines, Arun Bajaj, a fait de même en mars.

Les difficultés de Nissan pourraient raviver la question d’une coopération renforcée avec Renault, qui détient 43 % de son capital. Toutefois, M. Saikawa semble l’exclure. « Ce n’est pas le moment de discuter de cela », a-t-il déclaré le 22 avril, en réaction à un article du quotidien économique Nihon Keizai qui évoquait une proposition de Renault en faveur d’une intégration. « Nous nous concentrons aujourd’hui sur l’amélioration des performances de Nissan. »

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