Le « droit du renard » c’est invoquer une erreur minime de forme de l’assureur pour sortir d’un contrat qui ne se révèle pas suffisamment rentable. / Mark Airs/Ikon Images / Photononstop

En janvier 1999, M. et Mme X souscrivent chacun un contrat d’assurance-vie « Hévéa » auprès de la société Sogecap. Au cours des années 2000, ils procèdent à des versements et à des rachats partiels. En janvier 2011, ils informent leur assureur qu’ils renoncent à leurs contrats, en invoquant le fait qu’ils n’ont pas reçu, avant de les souscrire – onze ans plus tôt – l’information prévue par les exigences légales.

Sogecap soupçonne qu’ils lui « font le coup » de ce que certains commentateurs surnomment le « droit du renard » : invoquer une erreur minime de forme de l’assureur pour sortir d’un contrat qui ne se révèle pas suffisamment rentable. Deux auteurs ont écrit, dans la Revue générale de droit des assurances, en 2003, à propos du « droit du renard » : « C’est le droit de la responsabilité des irresponsables, désireux de charger sur autrui le poids de leur inconséquence. Ce n’est plus seulement le droit des étourdis mais le droit des malins qui calculent de jouer sur les deux tableaux. »

Détournement de la règle

Le « droit du renard » exploite à des fins spéculatives la règle qui veut qu’une personne ayant souscrit un contrat d’assurance-vie a la faculté d’y renoncer dans les trente jours (article L. 132-5-1 du code des assurances) et que le défaut de réception des documents d’information légaux permet la prorogation de ce délai (article L. 132-5-2). La prorogation peut durer des années (c’est seulement depuis une loi du 15 décembre 2005 qu’une limite de huit ans a été fixée). Or, la renonciation au contrat entraîne la restitution des sommes versées, augmentées des intérêts légaux – indépendamment des pertes survenues depuis !

Les assureurs qui ont protesté contre le « droit du renard » auprès de la Cour de cassation ont longtemps perdu : depuis le 7 mars 2006, la cour juge en effet que la faculté de renoncer au contrat revêt un « caractère discrétionnaire » pour l’assuré. Et que la prorogation du délai de renonciation permet de sanctionner le non-respect, par l’assureur, de son obligation d’information pré-contractuelle.

Revirement de jurisprudence

Mais, face à l’abondance du contentieux et à certaines modifications législatives, la cour a, le 19 mai 2016, admit que l’exercice de cette faculté « peut dégénérer en abus ». Elle a invité les juridictions du fond à rechercher « quelle est [sa] finalité », au regard « de la situation concrète des souscripteurs, de leur qualité d’assurés avertis ou profanes, et des informations dont ils disposaient réellement ».

Elle fait valoir que son erreur était minime : elle a inséré le modèle de lettre destiné à faciliter l’exercice de la faculté de renonciation dans la note d’information transmise aux X, alors qu’elle aurait dû le faire figurer dans le bulletin d’adhésion.

Pour prouver la « mauvaise foi » des X, elle souligne le fait qu’ils « ont attendu le mois de janvier 2011 pour se plaindre » de ce défaut « datant de 1999 ». Elle demande à la cour de juger que l’action judiciaire engagée par les X est « de pure opportunité dans un contexte de baisse boursière » et qu’elle « a pour seul objectif de faire supporter à l’assureur les pertes résultant de leurs choix d’investissements sur des unités de compte en actions soumises aux fluctuations des marchés financiers ».

Au moment de la renonciation

La cour d’appel de Versailles, qui statue le 22 février 2018, tente bien d’appliquer la nouvelle jurisprudence, et de rechercher « si les X ont détourné le droit de sa finalité ». Mais elle considère pour ce faire que leur éventuelle mauvaise foi doit s’apprécier « au moment de la souscription du contrat ». Elle estime que « l’assureur doit établir que l’assuré était, au moment de cette souscription, mieux informé que l’assureur lui-même du manquement par ce dernier à son obligation d’information, et qu’il n’aurait souscrit le contrat qu’en considération de la possibilité d’y renoncer ultérieurement ». Elle constate qu’il n’y parvient pas.

Elle observe, pour sa part, que les X « ne présentaient aucune compétence particulière en matière d’assurance », puisque M. X « travaillait dans l’agroalimentaire » et que « Mme X était femme au foyer ». Elle juge que leur renonciation « trouve son fondement dans le non-respect par la SA Sogecap de son obligation pré-contractuelle d’information ». Elle condamne l’assureur à restituer les sommes versées.

Sogecap se pourvoit en cassation, en protestant que la cour d’appel aurait dû apprécier s’il y avait eu abus, non pas au moment de la souscription du contrat, mais « au moment de la renonciation » à celui-ci. La cour lui donne raison le 28 mars de cette année, précisant ainsi sa jurisprudence. Elle censure l’arrêt, et renvoie les parties devant la cour d’appel de Paris.