Une bannière de campagne de l’Union progressiste, à Cotonou, le 16 avril. / YANICK FOLLY / AFP

Jamais depuis la période dite du « renouveau démocratique » au Bénin à partir de 1990, une élection n’avait généré autant de tensions. Là où les scrutins précédents nourrissaient des débats de campagne enflammés, suivis de bruyantes fêtes réconciliatrices, ce sont des véhicules blindés de l’armée qui ont sillonné le pays avant les législatives de dimanche 28 avril. « Sont-ils là pour protéger la population – et de quoi – ou pour intimider les électeurs ? », s’interroge un journaliste béninois joint par téléphone.

La situation est en effet inédite. Par un jeu de passe-passe politico-législatif, seulement les candidats de deux partis liés à la mouvance du président Patrice Talon – le Bloc républicain et l’Union progressiste, nouvellement créés – se disputeront les 83 sièges de l’Assemblée nationale. Toutes les autres formations ont été brusquement écartées de la compétition. La manœuvre a consisté en l’adoption, en juillet 2018, d’une nouvelle « loi portant charte des partis politiques » obligeant toutes les formations à s’enregistrer suivant de nouvelles règles et obtenir un certificat de conformité.

Ce certificat, aucun parti d’opposition n’est parvenu à l’obtenir. « Le gouvernement, notamment le chef de l’Etat, a fait une interprétation personnelle et personnalisée de la loi pour trouver des écueils dans les dossiers des partis d’opposition, et donc les empêcher d’avoir leur récépissé pour pouvoir se présenter aux élections législatives prochaines », a dénoncé Eric Houndété, vice-président de l’Assemblée nationale et député du parti d’opposition FCBE, la formation de l’ancien président Boni Yayi (2006-2016).

« Dérive autoritaire »

Les interventions extérieures de l’Union africaine, de la Cédéao – l’organisation régionale d’Afrique de l’Ouest –, ou celle du puissant voisin nigérian n’y ont rien fait. Pas plus que les consultations politiques intérieures ou bien avec les chefs traditionnels du Haut Conseil des rois du Bénin. Le président Talon n’est pas revenu sur sa décision au risque d’écorner durablement l’image d’un système démocratique béninois certes imparfait mais fonctionnel jusqu’alors.

« Il n’y a pas de compromis entre la dictature et la démocratie », a averti Nicéphore Soglo, le premier président béninois (1991-1996) issu de la première élection multipartite depuis 1972. « Quand tous les pouvoirs et les contre-pouvoirs sont entre les mains d’un seul homme, la démocratie est en danger », ajoute son fils, Ganiou. Proche de Sébastien Avajon – un autre homme d’affaires et ancien candidat à la présidentielle ayant soutenu Patrice Talon au second tour de la présidentielle de 2016 avant de basculer dans l’opposition puis l’exil en France –, Kenneth Johnson, président du Comité Europe-Afrique, s’inquiète aussi de cette « dérive autoritaire ». Même tonalité du côté de Boni Yayi.

En 2016, l’élection de Patrice Talon, homme d’affaires surnommé le « Roi du coton », avait pourtant soulevé un vent d’optimisme réformateur et de rupture après les deux mandats de Boni Yayi marqués par de retentissants scandales financiers. Ces casseroles avaient plombé la candidature de son poulain, le franco-béninois Lionel Zinsou, battu au deuxième tour. La victoire de Patrice Talon, faiseur de rois jusqu’alors plutôt que politique engagé, s’expliquait par le discrédit frappant une partie de la classe politique. « Nous portons notre part de responsabilité dans le fait que les électeurs ont préféré se tourner vers un homme d’affaires » reconnaît d’ailleurs Ganiou Soglo.

Trois ans plus tard, l’économie béninoise ne se porte pas si mal. La croissance économique a bondi de 2,1 % en 2015 à 6 % 2018, voire 7,6 % en 2019, selon les chiffres de la Banque africaine de développement. Mais ce bilan positif, salué par le Fonds monétaire international, comporte sa part d’ombre, dont une ambiance devenue délétère dans le business. « Que dire de ces réformes, demande Ganiou Soglo, lui-même actif dans le domaine agricole, dès lors qu’elles ne profitent qu’à un seul clan ? » – sous-entendu celui du « Roi du coton » et de ses proches.

L’opposition accuse également les autorités d’utiliser la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme pour s’attaquer aux opposants du régime sous couvert de lutte contre la corruption, objectif initial de cette structure créée en juillet 2018.

Les législatives de dimanche ne comportent donc aucun suspense, sauf le taux de participation, très élevé habituellement. Celui-ci donnera une idée de la capacité de mobilisation de l’opposition qui appelle au boycott du scrutin et, inversement, de la marge de manœuvre dont disposera le président pour continuer à maltraiter la démocratie béninoise.