Yannick Le Maintec

Samedi 19 janvier. Nous sommes de retour au Teatro Nacional, derrière la Place de la Révolution, pour la dernière ligne droite de Jazz Plaza. Au programme ce soir les plus belles formations de musique traditionnelle : Los Muñequitos de Matanzas, l’Orquesta Aragón, le Septeto Santiaguero.

18h30, salle Covarrubias, le show s’appelle « Jazz con Guaguanco ». L’idée d’Alejandro Falcón était de célébrer les 67 ans de Los Muñequitos de Matanzas, un des plus importants groupes de rumba de Cuba. Le pianiste, originaire de Matanzas, en a étudié le répertoire et avec l’aide du directeur Diosdado, en a extrait les titres emblématiques comme El chisme de la Cuchara, Congo Yambumba, Palo Quimbombo, réarrangés pour les emmener dans le monde du jazz.

Pour accompagner la mythique formation, Alejandro Falcón a fait appel à son groupe Cubadentro augmenté d’un sax, un trombone et deux trompettes. Une première, et sans aucun doute une des plus belles réussites du festival. Jazz et guaganco se sont merveilleusement mariés. On rêve d’un enregistrement. Parmi les invités, Mayito Rivera, l’ancien chanteur vedette de Los Van Van qui livrera une prestation -forcément !- tout en panache. Pour agrémenter le tout, des danseurs de niveau international gratifient l’audience d’un spectacle de toute beauté.

21 heures, salle Avellaneda. Habitué des projets spéciaux, Orlando « Maraca » Valle réunissait dans la présentation intitulée « La flûte enchantée » les plus belles flûtes de Cuba : José Loyola (fils de Efraín, flûtiste historique de l’orchestre Aragón), René Herrera, Rosalía Rosales, Eduardo Rubio (Aragón) et un peu plus : l’invité spécial du concert était le portoricain Néstor Torres, prodigieux flûtiste qui emballera l’assemblée avec savoir-faire et charisme. Les rejoindront assez naturellement la Orquesta Aragón pour un programme de chachachás et danzóns (on reconnaîtra au hasard Guajira Con Tumbao, El Bodeguero ou encore Pare Cochero)… du miel pour les oreilles.

Yannick Le Maintec

Étions-nous saoulés de musique après la trentaine de concerts auxquels nous avions assisté ? Si vous vous rendez à Jazz Plaza, ne vous contentez pas de la programmation du festival. Allez dans les clubs et régalez-vous des pépites de Cuba : Issac Delgado, Klimax, Alain Pérez, Havana D’Primera, Los Van Van, Cimafunk, El Nene, j’en passe et des meilleurs. Après le sophistiqué Jazz Con Guaganco et la descarga de Maraca, la présentation du Septeto Santiagero nous semblera présenter moins de relief. Roberto Fonseca et les plus belles voix de Cuba sauront réveiller notre enthousiasme.

Dimanche 20 janvier, soirée de clôture de Jazz Plaza. Petit chapeau et pull-over sombre, fossettes et sourire de sortie, Roberto Fonseca apparaît sur la grande scène du Teatro Nacional fidèle à l’image qu’on connaît de lui dans les festivals européens, à ceci près qu’il semble plus détendu, moins dans le contrôle. D’emblée le pianiste annonce la couleur. On n’est pas là pour des démonstrations savantes mais pour prendre du plaisir. Contrairement aux formations -plutôt réduites et typiquement jazz- qu’on lui connaît, Roberto s’est entouré d’une formation typique cubaine : piano, basse, batterie, tres, cuivres, congas.

Le spectacle s’intitule « Les grandes voix de Cuba ». Roberto présente la chanteuse lyrique Barbara Yanés. Le duo piano voix tutoie les anges, et place la barre très haut. Changement de registre avec les chanteuses de hip-hop La Reina y La Real. Roberto Fonseca jongle entre son piano et son synthé, ajoute des effets au saxophone. Les parisiens pourront l’applaudir quelques jours plus tard, à La Cigale dans un époustouflant duo électro avec le DJ et percussionniste Joe Claussell. Le petit génie du piano cubain repousse ses limites et ça lui va bien. Les voix aux personalités puissantes se succèdent : Eme Alfonso, María Victoria Rodríguez, Haila Mompié.

Roberto Fonseca revient accompagné d’Omara Portuondo, l’auguste (88 ans !) diva du Buena Vista Social Club, robe et coiffe émeraudes. Sa présence est bien évidemment le point d’orgue du spectacle. Le public semble hypnotisé… jusqu’à une note sans fin. Salve d’applaudissements, standing-ovation. Les yeux usés, étonnés comme la première fois, se remplissent d’émotions. Roberto tend le bras à la vieille dame, qui encouragée par le public, tire sa révérence en reprenant le refrain en vogue de Cimafunk « Me Voy Pa Mi Casa ! ». Omara ondule du bassin, donne un coup de rein suggestif. Éclat de rire général !

Roberto Fonseca et Omara Portuondo , les grandes voix de Cuba, le samedi 19 janvier 2019 au festival Jazz Plaza (La Havane) / Yannick Le Maintec

Jazz Plaza, mode d’emploi

Non, Jazz Plaza n’est pas qu’une excursion pour américains fortunés. Si la façon la plus facile d’assister au festival international de jazz de La Havane reste de passer par un des tour operators qui proposent le circuit clefs en main, il est possible de s’y rendre par ses propres moyens. Maîtriser l’espagnol et Cuba est un plus, tant les informations sur le festival peuvent être difficiles à obtenir. Depuis 2017 Jazz Plaza a lieu chaque mois de janvier. La programmation définitive est publiée la veille du festival, un préprogramme relativement fiable étant disponible le week-end précédent sur la page Facebook de l’événement. Le festival propose près de 200 concerts sur une vingtaine de lieux, principalement situés dans le quartier chic du Vedado. Les billets, dont le prix varie entre 5 et 20 CUC pour les salles les plus prestigieuses, doivent être achetés aux guichets. Le full pass, disponible pour 200 CUC en 2019, n’est pas forcément intéressant, à moins d’avoir la ferme intention de se lancer dans un marathon de musique. Les distances entre chaque lieu pouvant être importantes, prévoir un budget taxi conséquent. Enfin, l’organisation pouvant varier d’une année sur l’autre, il est vivement conseillé de se renseigner à l’office de tourisme (Infotur, Habana Vieja) quelques jours précédents le début de la manifestation.