Pour Stéphanie Frappart, les prochaines semaines s’annoncent chargées. Retenue pour la Coupe du monde féminine, organisée du 7 juin au 7 juillet dans l’Hexagone, l’arbitre française a été désignée pour diriger le match entre Amiens et Strasbourg, dimanche 28 avril (à partir de 15 heures), pour le compte de la 34e journée de Ligue 1. La Francilienne de 35 ans devient ainsi la première femme à officier, comme arbitre centrale, lors d’une rencontre de l’élite. Avant elle, l’Allemande Bibiana Steinhaus avait été choisie, en septembre 2017, en Bundesliga. Une première dans un grand championnat européen.

« Cette désignation de Stéphanie en L1 revêt une dimension symbolique forte car cela fait tomber un tabou, assure Eric Borghini, président de la commission fédérale d’arbitrage et membre du comité exécutif de la Fédération française de football (FFF). Enfin une femme à la baguette dans un match de L1 ! La direction de l’arbitrage a vu dans l’optimisation de la préparation en vue de la Coupe du Monde en juin, l’opportunité d’encourager Stéphanie, et l’arbitrage féminin français, en lui confiant la direction d’Amiens- Strasbourg. C’est un signal important de modernité et de prise en compte de la place des femmes dans le football. D’autant que Stéphanie répond parfaitement aux attentes de ses managers. »

Depuis 2014, Stéphanie Frappart officie en Ligue 2, à l’échelon inférieur, et a également été retenue en Coupe de la Ligue et en Coupe de France. « L’idée n’était pas de promouvoir Stéphanie directement au niveau supérieur, elle reste arbitre titulaire en L2, explique M. Borghini. Mais de lui donner du temps de jeu au très haut niveau avec utilisation de l’assistance à l’arbitrage vidéo (VAR), soit la configuration qu’elle connaîtra à la Coupe du monde. D’ailleurs, Clément Turpin [qui a officié lors du Mondial 2018, en Russie] sera dans l’équipe de Stéphanie dimanche, lui qui a été également retenu comme arbitre vidéo lors de cette compétition mondiale. »

Vingt-trois ans après Nelly Viennot, première femme dans l’histoire du football français à officier sur la ligne de touche lors d’un match de D1, Stéphanie Frappart fait aussi figure de pionnière. En Ligue 1, elle a déjà œuvré comme « assistante vidéo dans le camion ».

« Une reconnaissance de mes compétences »

Mi-avril, Le Monde avait rencontré la jeune femme, escortée de son assistante Manuela Nicolosi, au Centre national du football de Clairefontaine (Yvelines). « Arriver en L1, ce n’est pas donné à tout le monde, nous confiait-elle. Je suis dans les 40 meilleurs arbitres français, dans le top 27 mondial au niveau des filles. On passe les mêmes tests de sélection que les garçons. Il y a cette barrière-là qui fait que je suis la seule avec Manuela en L2. L’accession en L1, je la vois plus comme une reconnaissance de mes compétences. Je ne veux pas qu’on me mette en haut de l’affiche en L1 car je suis une femme. »

En 2014, sa désignation pour officier en L2 était concomitante de la nomination de Corinne Diacre, l’actuelle sélectionneuse des Bleues, sur le banc du Clermont Foot 63. « On a prouvé avec Corinne qu’on avait les compétences. Si je vais en L1, c’est qu’on m’aura jugé compétente, soutient Stéphanie Frappart. Ce n’est pas à moi de dire si j’ai le niveau. Je ne pense pas qu’il y ait de blocage. Quand on est une femme, il faut toujours montrer plus pour acquérir sa place. Chez les garçons, ça va plus vite sur le terrain. Essayer de suivre Mbappé à 37 km, c’est pas facile. Les joueurs ne vont pas aller moins vite car l’arbitre est une femme. Les exigences physiques et techniques sont les mêmes. »

Ancienne étudiante en filière Staps (sciences et techniques des activités physiques et sportives) et ex-joueuse de l’AS Herblay (Val-d’Oise), Stéphanie Frappart s’est tournée vers l’arbitrage à 13 ans. « Il faut être passionnée pour rester dans l’arbitrage quand on se fait insulter chaque week-end à bas niveau. J’étais un peu une tête de mule. J’ai toujours été dans un monde de garçons », sourit-elle, assumant « cette étiquette de la personne qui ouvre des portes et suscite des vocations. »

« On est un peu comme des intermittents du spectacle »

Désignée pour officier lors du Mondial féminin de 2015, au Canada, elle y a dirigé deux matchs. Jeux olympiques 2016, à Rio de Janeiro, Euro 2017 aux Pays-Bas, finale du Mondial féminin U20 en 2018 : le CV de la Francilienne s’est depuis étoffé.

Directrice des activités à la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT), la jeune femme « travaille trois jours par semaine, pour garder les pieds sur terre ». « Si je ne risquais pas de me blesser, je pourrais vivre de l’arbitrage. Mais on est un peu comme des intermittents du spectacle, indemnisés à la prestation », souligne-t-elle. Du 30 mai au 7 juillet, elle va mettre son activité professionnelle entre parenthèses pour se concentrer sur le Mondial.

En dehors des trois stages organisés par la Fédération internationale de football (FIFA), Stéphanie Frappart peaufine sa préparation physique avec des séances de « renforcement musculaire, de fractionné », alternant entre « vélo, course et natation. » Son rêve : officier lors d’une finale d’une grande compétition internationale. Cela sera inenvisageable, lors du prochain Mondial, si les Bleues de Corinne Diacre – dont l’arbitre reste « une grande supportrice » – parviennent à poursuivre leur route jusqu’au 7 juillet.