Un manifestant blessé par un tir de LBD à Bordeaux, le 12 janvier 2019. / MEHDI FEDOUACH / AFP

Des manifestants gravement blessés par les forces de l’ordre, dont la plupart lors du mouvement des « gilets jaunes », ont annoncé dimanche 28 avril à Gennevilliers (Hauts-de-Seine) se constituer en collectif. Dix-neuf personnes, toutes blessées par des tirs de lanceur de balles de défense (LBD) ou de grenades, ont présenté ce collectif qui vise à combattre « l’ultra-violence de la répression » et souhaite faire interdire « l’utilisation de ces armes de guerre ». Ils appellent pour cela à une grande manifestation nationale à Paris le 26 mai.

« L’horreur au quotidien »

« On a décidé de constituer un collectif, les mutilés pour l’exemple, en référence aux fusillés pour l’exemple », a déclaré lors d’une conférence de presse Robin Pagès, handicapé depuis sa grave blessure au pied en 2017 à Bure (Meuse), où est prévu un site d’enfouissement de déchets nucléaires. « Vous avez 19 personnes devant vous et vous n’avez que 26 yeux qui vous regardent. Faites le compte, il y a un petit problème », a assené Jérôme Rodrigues, « gilet jaune » éborgné lors d’une manifestation fin janvier à Paris.

Chacune des personnes présentes a raconté cette « vie qui a basculé » ou l’impossibilité « de pouvoir se regarder dans une glace ». « La nuit, c’est des insomnies, des cauchemars. C’est l’horreur au quotidien pour essayer de se démerder comme on peut avec une main. Pour l’instant, c’est l’enfer total », a témoigné Sébastien Maillet, qui a eu la main arrachée le 9 février à Paris, lors de l’acte XIII des « gilets jaunes ».

« La monophtalmie complique toute votre vie. Les choses vous demandent beaucoup de temps et il y a un impact psychologique sur votre entourage et vos proches », a expliqué Patrice Philippe, ex-chauffeur routier de 50 ans blessé à l’œil par un tir de LBD, le 8 décembre 2018. « De nombreuses personnes ici présentes ont des plaques en titane et des vis dans le visage », a ajouté Robin Pagès.

22 éborgnés, cinq amputés

D’après le collectif, qui n’a pas donné de détails sur la méthodologie de ses données, 22 personnes ont perdu un œil et cinq ont été amputées d’une main depuis le début du mouvement des « gilets jaunes ». « On réclame la vérité, la justice et l’interdiction des armes dites “sublétales” », a souligné Robin Pagès. Selon lui, le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, « ment » quand il parle de « seulement dix personnes touchées à la tête par des tirs de LBD ».

Plusieurs associations militent pour l’interdiction de cette arme lors des manifestations. Début mars, l’intérieur comptabilisait 13 095 tirs de LBD depuis le premier acte de ce mouvement social inédit et 83 enquêtes pour des tirs potentiellement problématiques. Début mars, les inspections générales de la police (IGPN) et de la gendarmerie (IGGN) ont été saisies de 209 enquêtes portant sur des soupçons de violences policières lors de manifestations des « gilets jaunes », dont 199 pour la seule police des polices.

Cet usage de la force par les policiers a été mis en cause par l’Organisation des Nations unies (ONU), qui a reproché à la France son « usage violent et excessif de la force » face au mouvement des « gilets jaunes ». Mais l’exécutif rejette ces critiques avec véhémence. Dès le 8 mars, Emmanuel Macron avait montré la voie en répondant sèchement à un étudiant lors d’une étape du grand débat : « Ne parlez pas de “répression” ou de “violences policières”, ces mots sont inacceptables dans un Etat de droit. » Même interdit langagier pour le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, ­interrogé le 19 mars sur France ­Inter, qui rétorquait : « Arrêtons de parler des violences policières ! »

De la Commune aux « gilets jaunes », pourquoi le maintien de l’ordre est si difficile
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