L’avis du « Monde » – à voir

Au commencement était Gloria Cumplido, quinquagénaire chilienne, personnage central de Gloria, quatrième long-métrage de Sebastian Lelio, qui valut l’Ours d’argent de la meilleure actrice à son interprète, Paulina Garcia, à la Berlinale 2013. Six ans plus tard, voici Gloria Bell, employée dans un cabinet d’assurances à Los Angeles, qu’incarne Julianne Moore. Si vous avez déjà vu Gloria, vous saurez, avant d’entrer dans la salle, ce qui attend Gloria Bell. Rarement remake aura été aussi proche de l’original, le scénariste et le metteur en scène sont restés le même d’une version l’autre, Sebastian Lelio.

Ne pas aller voir Gloria Bell parce qu’on a vu le film de 2013 est une aussi mauvaise raison de s’abstenir que d’invoquer le fait qu’on a déjà vu un film avec Julianne Moore. Car la réaction chimique que produit la rencontre entre ce matériau et cette actrice fait naître un film inédit, plus rêveur, plus poétique que son prédécesseur, qui permet à son interprète principale, formidablement soutenue par une distribution étonnante d’éclectisme (où verra-t-on réunis une interprète de Fassbinder et un acteur de Tout le monde aime Raymond ?), servie par une mise en scène discrète et sensible.

Divorcée depuis longtemps, mère d’un fils (Michael Cera) dont le mariage se défait déjà, d’une fille (Caren Pistorius) qui s’apprête à s’envoler très loin, Gloria Bell excelle en tout, mais personne ne s’en aperçoit, parce que chacune de ses réussites se dissimule derrière la banalité du quotidien. C’est une excellente mère, à peine envahissante, toujours à l’écoute, une amie fidèle, une employée modèle qui se décarcasse pour les assurés, une collègue capable de prendre des risques pour défendre la victime d’une injustice. Elle danse très bien, aussi, dans les clubs un peu ringards où elle ondule sur les tubes des années 1980.

Petits travers ou penchants inattendus

C’est là qu’elle rencontre Arnold (John Turturro), qu’elle succombe à son charme fait de tristesse et d’hésitation. Arnold a été obèse, s’en est sorti grâce à la chirurgie, ce qui l’oblige à porter une ceinture de contention. Ce détail biographique prend une réalité inattendue lorsque les préliminaires de la première nuit sont déchirés par le bruit d’un Velcro que l’on arrache. Plutôt que d’ancrer ses personnages dans la réalité d’un milieu (comme il l’a fait dans ses films chiliens, Gloria ou Une femme fantastique), Sebastian Lelio préfère leur prêter des idiosyncrasies, petits travers ou penchants inattendus. Barbara Sukowa (Fassbinder) fait une collègue vulnérable, Brad Garrett (Tout le monde aime Raymond), un ex-mari plein d’une bonne volonté aussi inépuisable que son aveuglement.

Gloria Bell traite chacun de ces êtres avec la même considération, la même disponibilité sans qu’il soit possible de déterminer si c’est le personnage qui l’exige ou l’un des rouages essentiels de la méthode Julianne Moore, qui veut que l’actrice soit d’abord le médium de ce qui l’entoure, personnes ou situations. La comédienne a joué suffisamment de personnages gravement endommagés (entre autres dans Maps to the Stars, de David Cronenberg) pour ne pas canoniser Gloria Bell. Parfois égocentrique, souvent naïve, elle fait une victime idéale face à la boulimie d’amour et d’attentions de son nouvel amant. C’est un MacGuffin d’un genre nouveau : la préservation de l’autonomie d’une femme face au désir masculin, fût-il animé des meilleures pulsions. Un sujet d’inquiétude un peu théorique, s’il ne reposait pas sur les épaules d’une actrice fantastique.

Gloria Bell - avec Julianne Moore - Bande-annonce
Durée : 02:15

Film américain et chilien de Sebastian Lelio. Avec Julianne Moore, John Turturro, Michael Cera, Brad Garrett, Barbara Sukowa (1 h 41). Sur le Web : www.marsfilms.com/film/gloriabell et www.facebook.com/GloriaBellMovie