Des paysans plantent de l’artemisia à Tivaouane, au Sénégal, en mars 2018. / SEYLLOU / AFP

Compter les mangues d’un champ pour vendre sa production au juste prix ; nourrir mieux et pour moins cher les enfants des cantines ; gérer un système d’irrigation à distance… L’intelligence artificielle et le « big data » offrent des solutions nouvelles aux agriculteurs africains.

« Il y a une révolution numérique en Afrique », lance Pascal Bonnet, directeur adjoint du Centre international de recherche agronomique pour le développement (Cirad), qui organisait à Dakar, au Sénégal, « le premier rendez-vous de l’agriculture numérique en Afrique de l’Ouest » (Agrinuma), du dimanche 28 au mardi 30 avril.

Selon lui, l’agriculture n’est plus seulement une affaire d’agronomes ; le numérique et les sciences de l’informatique prennent une importance croissante dans les métiers agricoles. « Partout en Afrique, il y a d’excellents chercheurs en informatique. L’agriculture numérique est une chance pour la jeunesse africaine, avec des emplois qualifiés. »

  • Pix Fruit compte les mangues

Exemple : le projet Pix Fruit, développé par le Cirad et l’Institut sénégalais de recherches agricoles, qui vise à évaluer la production d’un champ de manguiers.

Les paysans qui cultivent ce fruit largement consommé en Afrique de l’Ouest n’évaluent que très grossièrement leur production, en comptant manuellement les mangues sur quelques-uns de leurs arbres et en extrapolant sur l’ensemble du champ. Ou bien c’est parfois l’acheteur qui fait ce compte, avec des marges d’erreur énormes, de 1 à 10, explique Emile Faye, chercheur français en agro-écologie numérique et responsable de Pix Fruit. C’est-à-dire qu’un acheteur peut ne payer que deux tonnes de mangues alors que le paysan lui en livre 20 !

Pix Fruit est un système révolutionnaire, faisant appel à l’intelligence artificielle, qui permet de compter précisément la production : il suffit à l’agriculteur de photographier avec son smartphone quelques-uns de ses arbres dans chaque champ et le logiciel fait le reste, grâce à des modélisations complexes. Résultat : les agriculteurs sont rémunérés au plus juste et les grossistes et négociants peuvent évaluer à l’avance les productions qu’ils pourront écouler. En phase de finalisation pour les mangues, ce système va être étendu à d’autres produits – le café, les agrumes, les litchis –, précise Emile Faye.

  • Lifantou ravitaille les cantines

Ingénieure télécom sénégalaise de 28 ans engagée dans l’humanitaire, Awa Thiam a de son côté fondé la société Lifantou et mis au point une plateforme de commerce électronique qui met en relation les cantines scolaires et les coopératives agricoles. Objectif : raccourcir la chaîne de ravitaillement.

« Il y a un besoin énorme, explique-t-elle. Aujourd’hui, entre 25 et 50 % du coût des repas va aux intermédiaires [grossistes, supermarchés…], alors que les écoles ont des budgets limités. En raccourcissant la chaîne, directement des producteurs aux consommateurs, les cantines peuvent baisser le prix des repas et proposer des menus plus variés. »

Sa plateforme informatique utilise des bases de données (big data) et des systèmes cartographiques pour répertorier les producteurs et les écoles sur tout le territoire sénégalais, croiser les besoins et les offres, regrouper les achats des écoles et organiser le transport des denrées, avec un contrôle des opérations en temps réel.

  • Nanoair irrigue par SMS

Parfois, des technologies plus simples peuvent changer la vie quotidienne d’un agriculteur. La Widim Pompe, de la société Nanoair, est un simple boîtier commandé par SMS qui permet de gérer un système d’irrigation, avec à la clé des économies substantielles, même pour les petits paysans.

« Plus besoin pour l’agriculteur de marcher plusieurs kilomètres, de dépenser de l’essence chaque jour pour rejoindre ses champs ou d’embaucher un gardien-pompiste : il commande le départ et l’arrêt de l’arrosage avec son téléphone portable », explique Oumar Basse, ingénieur informatique sénégalais de 27 ans, cofondateur et directeur de Nanoair.

Le succès est au rendez-vous, avec 250 boîtiers déjà vendus, et des commandes du Maroc et de Zambie. La société compte douze salariés au bout de deux ans d’existence et Oumar Basse a créé dans la foulée une entreprise de livraison et de service après-vente qui en compte 22.