Jair Bolsonaro (à gauche) félicite son ministre de l’éducation, nouvellement nommé, Abraham Weintraub, le 9 avril à Brasilia. / Eraldo Peres / AP

Les uns s’effrayent d’une logique « productive », impropre au système éducatif, les autres redoutent plus radicalement la mise en place de mesures guidées par « l’obscurantisme ». Depuis l’annonce du ministre de l’éducation brésilien, Abraham Weintraub, le 26 avril, de réduire les investissements accordés par Brasilia aux universités de sociologie et de philosophie, le monde académique est en émoi.

Le ministre a justifié sa décision par la rentabilité de l’argent public. Décrit comme un technicien, spécialiste du droit et de la finance, il entend focaliser les deniers de l’Etat sur les disciplines offrant un « retour immédiat au contribuable », comme les formations d’« infirmières, de vétérinaires, d’ingénieurs et de médecins ». M. Weintraub a été nommé début avril en remplacement de Ricardo Vélez Rodriguez. Le bref mandat de ce dernier fut ponctué d’initiatives aussi saugrenues que polémiques: il comptait modifier les livres d’histoire pour réhabiliter la dictature militaire (1964-1985) et obliger les élèves à chanter – en étant filmés – l’hymne national en la concluant par le slogan de campagne du président d’extrême droite : « Le Brésil au-dessus de tout, Dieu au-dessus de tous ».

Des « aspirateurs d’impôts »

Dans une note, le rectorat de l’université de Rio de Janeiro s’est dit « surpris » par la décision du ministre décision expliquant qu’aucune discipline ne peut être isolée l’une de l’autre, la recherche philosophique et sociologique nourrissant le droit, l’administration, l’économie, la planification urbaine ou les mathématiques… Le choix de M. Weintraub, applaudi par le chef d’Etat d’extrême droite, Jair Bolsonaro, a été d’autant plus incompris que les deux matières seraient, en réalité, peu coûteuses : le nombre d’élèves de sociologie et philosophie représenterait moins de 2 % du total des étudiants d’universités fédérales.

Peu importe, pour M. Weintraub, les sciences humaines sont des « aspirateurs d’impôts ». Le « cost-killer » de l’éducation est allé plus loin encore, en promettant de réduire de 30 % les sommes allouées à trois universités coupables de « chahut » : celles de l’Etat de Brasilia (UnB), de Rio de Janeiro (UFF) et de Bahia (UFBA). « Ces universités doivent avoir trop d’argent si elles en gaspillent pour faire du chahut ou des événements ridicules », a-t-il expliqué dans un entretien au quotidien Estado de Sao Paulo, le 30 avril, citant la présence, sur les campus, de militants du mouvement des « sans-terre » ou de « gens nus ».

A l’en croire, lesdites facultés n’auraient, par ailleurs, pas affiché les performances attendues. Elles ont pourtant amélioré leur position dans le classement international de référence du secteur, le Times Higher Education souligne Estado de Sao Paulo et figurent parmi les vingt premières du classement du quotidien Folha de Sao Paulo.

Priorité à l’enseignement primaire

M. Weintraub a annoncé, le 30 avril, une réduction de 30 % des budgets consacrés à toutes universités fédérales, vantant cette fois-ci, des critères « opérationnels, techniques et équitables ». Dans une vidéo postée sur Twitter le 30 avril, le ministre explique vouloir donner la priorité à l’enseignement primaire. Un élève d’enseignement supérieur coûte « dix fois plus qu’un enfant en crèche ». « Que feriez-vous à ma place ? », interroge-t-il.

Poursuivant l’offensive contre les facultés, il complète son propos le lendemain en lâchant sur le réseau social : « Pour celui qui connaît les universités fédérales, interroger les recteurs –dits de gauche – sur la pluralité ou la tolérance fait autant de sens que de demander des conseils sur le sucre à un diabétique. »

« Son moteur est purement idéologique », Sérgio Rodrigues

Hanté, à l’instar du chef de l’Etat, par l’idée qu’un « marxisme culturel » se serait infiltré dans les universités, le ministre laisse penser que l’enjeu de ces coupes budgétaires serait, au moins en partie, idéologique. « M. Weintraub ne peut imaginer couper 30 % des financements sans conséquences graves. Son agenda est celui de l’obscurantisme », estime Fernando Haddad, ancien candidat à la présidence pour le Parti des travailleurs (gauche) et ministre de l’éducation de 2005 à 2012, qualifiant le ministre de « contremaître » aux ordres de Bolsonaro.

« Son moteur est purement idéologique », écrit aussi l’écrivain Sérgio Rodrigues dans Folha de Sao Paulo, le 2 mai, évoquant un ministre guidé par le « ressentiment », qui multiplie les fautes d’orthographes et a récemment confondu, dans un de ses calculs de dépenses, les milliers avec les millions.