Pour avoir évoqué une « attaque » de l’hôpital Pitié-Salpêtrière en marge du défilé parisien du 1er-Mai, le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, s’est retrouvé sous le feu des critiques, le contraignant vendredi 3 mai à revenir sur ses propos. Sa version des faits a en effet été rapidement contredite par la diffusion de vidéos et de témoignages confirmant que l’intrusion des manifestants dans l’hôpital avait été provoquée par un mouvement de panique face une charge des policiers. Le ministre de l’intérieur a été accusé par l’opposition d’avoir « parlé trop vite », relayant « sciemment ou pas de fausses informations », qui contribuent à « rompre le lien de confiance » entre les citoyens et les politiques.

Pour Gérald Bronner, professeur de sociologie à l’université Paris-Diderot, spécialiste des croyances collectives (L’Empire des croyances, PUF, 2003, et La Dé­mocratie des crédules, PUF, 2013) et qui vient de publier Déchéance de rationalité (Grasset, 2019), cette « précipitation » est symptomatique des nouvelles façons de s’exprimer à l’heure des réseaux sociaux et des chaînes d’informations en continu qui favorisent l’émotion face à la raison.

Que vous inspire l’attitude du ministre de l’intérieur, qui réagit à chaud juste à la fin de la manifestation du 1er-Mai en parlant d’« attaque » d’un hôpital, alors que le personnel démentira plus tard ?

D’abord, face aux déclarations du ministre, je ne veux pas verser dans une indignation facile, et préciser qu’il a regretté ses propos. Toutefois, cette précipitation de Christophe Castaner à réagir illustre ce que j’appelle la contamination du croire par le désir. C’est-à-dire croire en un fait ou un récit parce que cela arrange notre représentation du monde. C’est un classique en politique, et pas seulement en politique, nous fonctionnons tous sur ce schéma.

S’agissant de Christophe Castaner, il y a plusieurs hypothèses. La première étant de penser qu’il a entendu de la part de certaines sources qu’il s’agissait d’une attaque et qu’il a repris l’information telle quelle, alors qu’il aurait fallu suspendre son jugement. Dans ce cas, on peut donc, au minimum, lui faire le reproche d’avoir parlé trop vite, en se précipitant sur une « bonne » mauvaise nouvelle. Cette précipitation émotionnelle n’est pas admissible de la part d’un homme politique.

L’autre cas de figure est plus cynique et consiste à penser qu’il savait que ce n’était pas une intrusion violente, mais qu’il a décidé de parler d’attaque, se disant que les gens n’en sauraient rien. Dans les deux cas, nous sommes dans des exemples de ce que j’appelle la déchéance de rationalité.

Avec les réseaux sociaux, les médias en continu, les politiques se retrouvent-ils à commenter l’actualité à chaud, quitte à se tromper, au lieu de lui donner du sens ?

C’est exactement cela. Avec les chaînes d’information en continu et les réseaux sociaux, les politiques semblent être en concurrence permanente entre eux. Il faut être le premier à s’indigner.

Les politiques tombent alors dans cette « prise de risque » de donner l’information le plus vite possible, pour attirer l’attention, au risque qu’elle soit fausse. Chaque jour, des politiques commentent l’actualité en divulguant des informations imprécises, voire erronées. Il se joue une équation entre l’envie d’être visible et l’envie que telle information soit vraie.

Avec la dérégulation du marché de l’information, la tentation est grande de donner à des faits flous une interprétation qui sera concurrente avec d’autres. Mais si chacun donne son interprétation des faits, on assiste à un fractionnement de l’espace commun de notre rationalité.

Peut-on parler d’un basculement de la parole politique vers un discours de l’émotion ? M. Castaner a d’ailleurs reconnu parler « sous le coup de l’émotion ».

Il y a une pression concurrentielle sur le marché de l’information qui rend le discours émotionnel plus tentant. La possibilité de communiquer sur Twitter et les chaînes d’information en continu augmentent cela. Dans ce contexte, le taux d’erreur est forcément plus important, sans qu’il n’y ait pour autant d’intention machiavélique.

Par ailleurs, l’émotion est un accélérateur d’information. Une information se divulgue plus vite en cas de peur ou de crainte. Nous en sommes tous victimes. Mais en tant que ministre de l’intérieur, Christophe Castaner a une responsabilité particulière, notamment celle d’assujettir ses émotions à sa rationalité.

Plus que jamais, les politiques ont donc le devoir de ralentir la course de l’information et son interprétation. Sans cela, le niveau de méfiance des citoyens, qui n’a jamais été aussi haut, risque d’être encore plus entamé. Si j’étais un homme politique, qui plus est un ministre, j’apprendrais à dire « je ne sais pas ».

« Attaque » de la Pitié-Salpêtrière : ce qu’il s’est réellement passé le 1er-Mai