Alexandre Gorbunov, plus connu sous son nom virtuel « StalinGulag », lors d’un entretien avec l’AFP, le 3 mai à Moscou. / ALEXANDER NEMENOV / AFP

Il adore ridiculiser le Kremlin, et ses comptes sur les réseaux sociaux sont immensément populaires : mis sous pression par les autorités, Alexandre Gorbounov, alias StalinGulag, est sorti de son anonymat, dévoilant un jeune homme de 27 ans lourdement handicapé. Sur la plate-forme de messagerie Telegram, StalinGulag compte 300 000 abonnés. Sur Twitter, ils sont plus d’un million à se délecter de ses commentaires acerbes se moquant de « l’hypocrisie » du système politique russe ou évoquant l’injustice et l’absurdité ordinaire pouvant frapper les Russes.

Depuis l’ouverture de son compte Twitter en 2013, l’identité de celui que l’opposant Alexeï Navalny a qualifié de « plus important commentateur politique de Russie » alimentait des rumeurs : Alexandre Gorbounov est finalement sorti de l’anonymat cette semaine. La raison ? La pression croissante des autorités, qui ont mené des perquisitions chez ses parents âgés de 80 et 65 ans et résidant à Makhatchkala, capitale de la République russe du Daguestan, dans le Caucase. A Moscou, plusieurs de ses proches ont également été intimidés, assure le jeune homme. « Ils peuvent facilement arrêter et mettre en prison n’importe qui. Ils s’en foutent », explique-t-il à l’Agence France-Presse (AFP), à qui il a accordé une interview après avoir d’abord révélé son identité à la BBC.

Avocat devenu tradeur

Les autorités n’ont cessé, ces dernières années, de renforcer leur pression sur l’Internet russe. En mars, Vladimir Poutine a promulgué une loi permettant de bloquer des médias diffusant des « fake news » sur le Web et une autre permettant de bloquer les contenus faisant preuve d’« irrespect » envers les autorités.

Petit bouc finement taillé et manières douces, Alexandre Gorbounov ne ressemble pas à une star des réseaux sociaux : victime d’amyotrophie spinale, une maladie qui affaiblit les muscles, il se déplace en fauteuil roulant et ne peut se servir que de son index droit pour écrire. « Si les autorités ont peur de ce que j’écris, c’est vraiment qu’elles ne valent rien », assène cet avocat de formation devenu tradeur autodidacte, une activité lui rapportant suffisamment pour employer deux chauffeurs et une auxiliaire de vie.

Né à Makhatchkala, Alexandre Gorbounov vit aujourd’hui dans un confortable appartement de Moscou avec sa compagne, qui partage sa vie depuis sept ans. Depuis qu’il a révélé son identité, l’histoire de Gorbounov stupéfie la Russie. « Cet homme est un putain de héros », a déclaré sur Twitter le commentateur politique Andrew Ryvkin, tandis que l’écrivain et homme politique Denis Bilounov voit déjà en lui l’« homme de l’année 2019 ».

Ni héros ni militant

Pavel Dourov, le fondateur russe de Telegram lui aussi engagé dans une bataille avec les autorités qui tentent de bloquer sa messagerie, a « authentifié » le compte StalinGulag et offert son aide au jeune homme pour partir à l’étranger comme il l’a fait lui-même.

Alexandre Gorbounov dit, cependant, n’avoir aucune intention de quitter son pays. Il assure n’être ni un héros, ni un militant d’opposition : seulement un homme qui met à l’écrit ses pensées sur la vie en Russie, de la politique étrangère du pays au style de vie parfois extravagant des proches de Vladimir Poutine. « Ce qui se passe dans le pays est terrible. L’injustice est ce qui me met le plus en colère », explique-t-il.

Disant puiser son inspiration dans son livre préféré, Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline, Alexandre Gorbounov émaille ses posts de mots d’argot et se montre volontiers vulgaire. Il refuse de se soigner, estimant sa maladie incurable, et ne veut pas se faire d’illusions sur son futur :

« Je ne veux pas transformer ma vie en une bataille absurde : c’est une bataille que je perdrai. »

Son histoire a généré un immense intérêt médiatique en Russie. Sur la situation politique en Russie, il ne veut pas faire de prédictions. Mais, « pas un optimiste », il est persuadé qu’il ne verra pas de changement à la tête de l’Etat de son vivant.