Le BTP ne veut pas payer pour les baisses d’impôts promises par le chef de l’Etat. Le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, a reçu, lundi 6 mai, les présidents de la Fédération nationale des travaux publics (FNTP), Bruno Cavagné, et de la Fédération française du bâtiment (FFB), Jacques Chanut, pour leur confirmer ce qu’ils redoutaient : le gouvernement envisage à nouveau de mettre fin, dans le budget 2020, à l’avantage fiscal dont bénéficient leurs entreprises sur le gazole non routier (GNR).

De quoi rallumer l’inquiétude d’un secteur qui s’était déjà mobilisé il y a six mois contre cette mesure, inscrite dans le projet de loi de finances 2019 à l’automne. Des manifestations d’entreprises de travaux publics avaient éclaté dans plusieurs régions, de la Bretagne à la Champagne, avant que le mouvement des « gilets jaunes » ne fasse renoncer le gouvernement à ces hausses de taxes sur les carburants. « La colère avait été très forte, nous avions été nous-même surpris par la violence de la réaction de nos entreprises », se souvient une porte-parole de la FNTP.

Une hausse de 50 % du litre de « rouge » ?

Comme les engins agricoles, les véhicules de chantier utilisent un carburant – de couleur rouge – bénéficiant d’un taux réduit de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). Un avantage fiscal de près de 1 milliard d’euros au total. Sa suppression est aujourd’hui une des principales pistes étudiées pour financer les 5 milliards d’euros d’allègement de l’impôt sur le revenu annoncés par Emmanuel Macron le 25 avril, à la suite du grand débat national et en réponse au mouvement des « gilets jaunes ».

« Au moment même où la crise des “gilets jaunes” montre la nécessité impérieuse de prendre soin de nos territoires, il serait totalement inconséquent de déstabiliser un secteur créateur d’emplois locaux et dont l’activité même participe à la cohésion des territoires », avertit Bruno Cavagné. L’alignement du GNR sur le gazole ferait bondir le prix du litre de « rouge » d’un peu moins de 1 euro à 1,50 euro, une hausse de 50 %.

Pour le seul secteur des travaux publics, dont les 8 000 entreprises seraient les plus touchées par cette suppression, l’impact serait d’au moins 700 millions d’euros par an, selon la fédération. Soit 40 % à 60 % du bénéfice net de ces sociétés, dans un secteur qui se caractérise par un très faible taux de marge, d’environ 2 %, et se remet lentement d’une grave crise entre 2008 et 2016.

Une « décision purement budgétaire »

« Le gouvernement essaie d’habiller cela comme une mesure écologique, mais c’est une décision purement budgétaire : nos entreprises n’ont pas la possibilité d’utiliser des véhicules de chantier hybrides ou électriques, qui n’existent quasiment pas », souligne la porte-parole de la FNTP. Et les professionnels de pointer du doigt le risque de concurrence déloyale de la part des entreprises agricoles, qui, elles, conserveraient cette niche fiscale et effectuent parfois, en zone rurale, des travaux publics.

Le 29 avril, le ministre de l’action et des comptes publics, Gérald Darmanin, avait appelé le patronat à prendre part à l’« intérêt général », estimant que « sur 40 milliards de niches on doit bien pouvoir trouver quelques centaines de millions d’euros ». Mais les entreprises préviennent qu’elles répercuteront cette hausse des prix sur leurs premières clientes : les collectivités locales. Non seulement pour les contrats à venir, mais pour les marchés en cours, dont près de la moitié comprennent des clauses de révision des prix. Au risque de voir ces collectivités locales réduire leurs volumes de commandes.

Le gouvernement étudie désormais la possibilité de supprimer cette niche fiscale non plus brutalement, comme il était prévu à l’automne, mais de manière étalée sur plusieurs années. « Nos marchés courent souvent sur quatre ans ; nous avons besoin de visibilité sur la longue période : au pire, il faudrait que la mesure n’entre pas en vigueur tout de suite et s’applique de manière très progressive », plaide-t-on à la FNTP. Bruno Le Maire a donné rendez-vous aux professionnels dans trois semaines. L’heure des mauvaises nouvelles aura alors sans doute vraiment sonné.