Le « Bahri-Yanbu » au port de Tilbury à Essex, en Angleterre, le 7 mai. / BEN STANSALL / AFP

Malgré les nombreuses critiques, la France poursuit sa livraison d’armes à l’Arabie saoudite qui est engagée dans une guerre au Yémen. Mercredi 8 mai, la ministre de la défense, Florence Parly, a confirmé qu’il y aura un « chargement d’armes » sur un cargo saoudien qui doit arriver dans la journée dans le port du Havre.

Cette annonce confirme les informations du site d’investigation Disclose qui affirmait mardi que le cargo saoudien Bahri-Yanbu doit prendre livraison de « huit canons de type Caeser » et les acheminer vers le port de Djeddah, en Arabie saoudite. Ces armes sont susceptibles d’être utilisés dans la guerre meurtrière que livre la coalition internationale menée par l’Arabie saoudite au Yémen.

Mais Mme Parly n’a pas précisé la nature des armes qui seront chargées ni leur destination tout en assurant que, « à la connaissance du gouvernement français, nous n’avons pas d’éléments de preuve selon lesquels des victimes au Yémen sont le résultat de l’utilisation d’armes françaises ». La ligne invariablement avancée par Paris est que ces armements ne sont utilisés que de manière défensive et pas sur la ligne de front.

Enquête ouverte

Or, selon une note des services secrets dévoilée mi-avril par le média français d’investigation Disclose, des armes françaises sont bien utilisées sur le territoire yéménite par Riyad et Abou Dhabi contre les rebelles houthistes, minorité chiite soutenue par l’Iran.

Ce sont les théâtres d’opération les plus reculés du conflit, demeurés inaccessibles à la presse étrangère, côté yéménite, depuis 2015. Disclose précise que, en croisant ces données avec celles de l’ONG américaine Acled (The Armed Conflict Location & Event Data Project), on peut établir que 35 civils sont morts au cours de 52 bombardements entre mars 2016 et décembre 2018 dans le champ d’action des Caesar français, où opère également, en théorie, l’aviation saoudienne.

A la suite de ces révélations, le parquet de Paris a ouvert une enquête pour « compromission du secret de la défense nationale ». Selon une source judiciaire, l’enquête judiciaire a été initiée le 13 décembre 2018 à la suite d’une plainte du ministère des armées, et les investigations ont été confiées à la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Au moins trois journalistes ayant révélé ces informations – les deux fondateurs de Disclose, Mathias Destal et Geoffrey Livolsi, ainsi que Benoît Collombat, de la cellule investigation de Radio France –, sont, par ailleurs, convoqués mi-mai en vue d’une audition libre dans les locaux de la DGSI.

Pour M. Livolsi, « cette enquête judiciaire n’a qu’un seul objectif : connaître les sources qui nous ont permis de faire notre travail ». « C’est une atteinte à la liberté de la presse et à la protection des sources des journalistes », a-t-il ajouté. En réaction à ces convocations, près de quarante sociétés de journalistes et de rédacteurs ont exprimé dans un communiqué leur « pleine et entière solidarité avec nos confrères, qui n’ont fait que leur travail : porter à la connaissance des citoyens des informations d’intérêt public sur les conséquences des ventes d’armes françaises ».

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