LA LISTE DE LA MATINALE

La jeunesse s’invite au cinéma cette semaine. Avec Ihjac, jeune indigène de la tribu Krahô au Brésil, dans l’envoûtant « Chant de la forêt », et Nina, adolescente fonceuse dans « Les Météorites ».

« Le Chant de la forêt » : l’Indien qui voulait tromper la mort

LE CHANT DE LA FORET de Renée Nader Messora et João Salaviza : BANDE-ANNONCE, le 8 mai au cinéma
Durée : 01:44

On connaissait le cinéaste portugais João Salaviza, né en 1984, pour un remarquable premier long-métrage, Montanha (2015), chronique caravagiste et endeuillée d’une adolescence en banlieue lisboète.

S’il vient confirmer son talent, Le Chant de la forêt, Prix spécial du jury d’Un certain regard, au Festival de Cannes 2018, n’en apparaît pas moins comme un recommencement : un film tourné au Brésil et à quatre mains avec Renée Nader Messora, native de Sao Paulo qui travaille depuis plus de dix ans auprès des populations indigènes du Cerrado, territoire préservé de l’Etat de Tocantins, au nord-est du pays.

Issu d’un séjour de neuf mois en immersion au sein d’une tribu Krahô, le film est le fruit d’une collaboration avec les habitants d’un petit village, Pedra Blanca, qui jouent leur propre rôle devant la caméra. Le résultat consiste en l’invention d’un territoire poétique à la croisée de l’anthropologie et de la fable, du document et du rêve éveillé.

Le film s’attache plus précisément à Ihjãc, un jeune indigène vivant avec sa femme Kôtô et leur nourrisson Tepto, entre leur petit village – une poignée d’âmes et de huttes – et une plantation au cœur de la forêt. On le découvre à la faveur d’une scène nocturne envoûtante, déambulant seul dans les bois, comme sorti d’un rayon de lune, et appelé près d’une cascade par la voix d’un père défunt qui réclame les hommages d’une cérémonie funéraire. Dès lors, rien n’ira plus pour le jeune homme, rendu absent aux siens et désinvesti de ses tâches par ce souvenir filial qui ne veut pas s’estomper. Mathieu Macheret

Le Chant de la forêt, film brésilien et portugais de Renée Nader Messora et João Salaviza (1 h 54).

« Les Météorites » : l’adolescence ou le don du ciel

LES MÉTÉORITES Bande Annonce (2019) Drame
Durée : 02:02

Nina (Zéa Duprez), 16 ans, vient de lâcher le lycée et, pendant l’été, travaille dans un parc à thème consacré aux dinosaures, aux côtés d’une jeune fille d’origine algérienne, nommée Djamila (Oumaima Lyamouri). Le reste du temps, elle traîne seule, ou avec son meilleur ami Alex (Nathan Le Graciet), fils de vigneron qui vient de s’engager dans l’armée.

Un soir, elle voit passer dans le ciel une météorite qui semble s’échouer derrière les cimes du mont Caroux. Vision dont les effets ne se font pas attendre : le lendemain, elle rencontre Morad (Billal Agab), le frère de Djamila, petit dealer à l’abord fier et insolent dont elle tombe amoureuse. En dépit des mises en garde de ses proches, Nina fonce tête baissée dans cette relation instable et cahoteuse, voulant croire obstinément au bon augure de la météorite.

La météorite, c’est elle, qui traverse les plans en y déposant son empreinte poivrée, une traînée de lumière noire (dès la première image, on la découvre courant à perdre haleine sur un pont pour attraper son bus). Brune basaltique et roc insécable, c’est d’elle qu’émane toute la puissance minérale de ce film amoureux. M. M.

Les Météorites, film français de Romain Laguna. Avec Zéa Duprez, Billal Agab, Oumaima Lyamouri, Nathan Le Graciet (1 h 25).

Rétrospective Albert et David Maysles : le regard créateur

Albert et David Maysles « It's all in the film »
Durée : 01:25

Dans Meeting Albert (Karim Zeriahen, 2009), Albert Maysles évoque la fonction du documentaire : « Nous avons besoin de mieux connaître ceux qui sont autour de nous, c’est ainsi que nous pouvons apprendre à être de bons voisins. »

De très grands voisins, voilà ce que furent Albert et David Maysles, pionniers du cinéma direct (ou cinéma-vérité) auxquels la Cinémathèque documentaire de la Bibliothèque publique d’information (BPI) au Centre Pompidou à Paris consacre une rétrospective. Parmi leurs voisines les plus célèbres se trouvent Edith Bouvier Beale, tante de Jackie Kennedy, et sa fille « Little Edie », les résidentes de Grey Gardens (1975), leur maison située dans les Hamptons (New York).

Anciennes figures de la haute bourgeoisie new-yorkaise, les deux femmes vivent recluses dans leur demeure à ce point délabrée qu’elles risquent l’expulsion si elles ne procèdent pas à son nettoyage – qui sera financé par Jackie Kennedy devenue Onassis. Loin d’en faire des bêtes de foire excentriques, les Maysles filment les Beales comme des amies – amies qu’Albert Maysles retrouve en 2006, en leur dédiant un nouveau film uniquement composé de rushes inédits, The Beales of Grey Gardens.

Dans Salesman (1969), documentaire sur des vendeurs de bibles au porte-à-porte, la caméra glisse du démarcheur qui baratine à la femme au foyer hébétée qui tente poliment d’expliquer qu’elle est ruinée. Les deux frères captent ainsi un précipité de l’Amérique des années 1960 : du surendettement au culte de la libre entreprise, en passant par le désespoir éteint des ménagères américaines, mais aussi des démarcheurs. Ici comme ailleurs, la qualité du regard des Maysles semble produire l’événement, l’étincelle de folie qui étire le réel aux dimensions de la fiction. Murielle Joudet

Rétrospective Albert et David Maysles à la Cinémathèque du documentaire de la BPI au Centre Pompidou. Jusqu’au 30 juin.