Teodoro Nguema Obiang Mangue, dit « Teodorin », vice-président de Guinée équatoriale, à Malabo, en juin 2013. / AFP

Les fortunes accumulées à l’étranger par des dirigeants malhonnêtes reviendront-elles un jour aux populations spoliées ? Si un grand pas a déjà été fait pour confisquer ces « biens mal acquis », il n’existe pas en France de disposition juridique permettant une telle restitution. C’est tout le sens de la proposition de loi relative à l’affectation des avoirs issus de la corruption internationale, adoptée par le Sénat jeudi 2 mai à l’initiative de Jean-Pierre Sueur (PS). Dans son plaidoyer, le sénateur, vice-président de la commission des lois, a rappelé que ces détournements sont évalués à entre 20 et 40 milliards de dollars par an (entre 18 et 36 milliards d’euros) à l’échelle du monde par la Banque mondiale. « La France a fait de la lutte contre la corruption une des priorités du G7 qu’elle présidera à Biarritz en juillet. Il est temps de combler son retard », défend-il.

Cette proposition de loi prévoit la création d’un fonds destiné à recueillir les recettes provenant de la confiscation des biens mobiliers et immobiliers de ces personnalités politiques étrangères condamnées en France pour avoir usé de leurs fonctions à des fins d’enrichissement personnel. La France étant le lieu du « recel » ou du « blanchiment » de l’argent détourné. Les sommes ainsi récupérées devraient ensuite être consacrées « à l’amélioration des conditions de vie des populations et au renforcement de l’Etat de droit, ainsi qu’à la lutte contre la corruption » dans les pays où les infractions ont eu lieu, prévoit le texte adopté par la haute assemblée.

Il y a une certaine urgence à combler ce vide juridique. Le 27 octobre 2017, Teodoro Nguema Obiang Mangue, dit « Teodorin », vice-président de la Guinée équatoriale et fils du président de cet Etat pétrolier d’Afrique centrale, a été condamné par la 32e chambre du tribunal de grande instance de Paris à trois années de prison et 30 millions d’euros d’amende, avec sursis, pour avoir blanchi entre 1997 et 2011 une somme estimée à près de 150 millions d’euros. La confiscation de ses biens, outre ses 17 voitures de luxe, a été ordonnée. M. Obiang a fait appel de cette décision et le jugement devrait être rendu en décembre. Il s’agit de la première condamnation prononcée par la justice française dans une affaire de « biens mal acquis », alors que deux autres procédures en cours visent le président de la République du Congo, Denis Sassou-Nguesso, et l’ancien président du Gabon, feu Omar Bongo.

L’exemple suisse

« Que se passera-t-il si le tribunal prononce une condamnation définitive ? », s’interroge Marc-André Feffer, président de Transparency International France (TI-France), à l’origine de la plainte déposée en 2008 avec l’ONG Sherpa, spécialisée dans la lutte contre la corruption. La convention des Nations unies contre la corruption prévoit la restitution obligatoire des avoirs illicites à l’Etat étranger, considéré comme victime, à condition que celui-ci ait engagé les procédures nécessaires au recouvrement de sa créance. « Cela supposerait que la Guinée équatoriale ait saisi la France pour faits de corruption. On voit bien que dans le cas présent, cela n’est pas envisageable », poursuit M. Feffer. Si bien qu’en l’absence d’une modification de la loi, l’argent, aujourd’hui séquestré par l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc), irait plus probablement abonder le budget de l’Etat français.

La proposition portée par le sénateur Sueur est le fruit d’une étroite collaboration avec TI- France. Elle doit maintenant être endossée par l’Assemblée nationale, mais le gouvernement a d’ores et déjà fait savoir qu’il soutenait ce projet. Au Sénat, le 2 mai, la secrétaire d’Etat aux affaires européennes, Amélie de Montchalin, a indiqué qu’une mission parlementaire serait rapidement créée pour « proposer un mécanisme global » de restitution. Elle devra remettre son rapport à la garde des sceaux en juillet et le dispositif retenu serait adopté dans le cadre de la loi de finances pour 2020.

Quelle forme pourraient prendre ces transferts pour s’assurer qu’ils profitent réellement aux populations et ne retournent pas dans les mauvaises poches ? Le cas suisse est observé de près. Ce haut lieu du blanchiment et du secret bancaire est aujourd’hui aussi considéré comme le plus avancé dans le domaine. Au total, la Suisse a déjà organisé le rapatriement de 2 milliards de dollars d’avoirs illicites, dont une partie par le biais de fondations créées à dessein ou d’accords de coopération avec des institutions de développement comme la Banque mondiale.

Les fonds ainsi récupérés servent à financer des projets de développement. Mais dans la majorité des pays de restitution concernés (Haïti, Nigeria, Kazakhstan, Philippines…), le pouvoir avait changé de mains, ce qui a facilité une coopération entre les Etats. Ce n’est pas le cas pour les affaires ouvertes en France. En Guinée équatoriale, au Congo ou au Gabon, les pouvoirs incriminés sont solidement en place et contestent le bien-fondé des accusations portées contre leurs dirigeants. Pour Jean-Pierre Sueur, la difficulté peut être contournée en créant « un fonds indépendant, géré par un collège de personnalités irréprochables, dont la mission sera d’affecter directement les sommes au profit des populations ».