En s’appuyant sur la législation antiterroriste, la RATP a licencié un chauffeur de bus au motif qu’il aurait fait courir un risque à ses collègues et aux usagers. / JOEL SAGET / AFP

Si tout se déroule comme prévu, il va de nouveau conduire des bus en région parisienne. « Je passe ma visite médicale de reprise le 13 mai. Normalement, la réintégration devrait se faire dans la foulée », confie Marc, qui témoigne sous un prénom d’emprunt. Son activité sera identique à celle qu’il avait dû quitter, fin janvier 2018, dans des circonstances peu ordinaires. S’appuyant sur la législation antiterroriste, son employeur – la RATP – l’avait licencié au motif qu’il aurait fait courir un risque à ses collègues et aux usagers.

Une mise à l’écart que ce père de famille de 36 ans avait contestée devant les tribunaux. La cour d’appel de Paris vient de lui donner gain de cause : dans un arrêt rendu le 11 avril et évoqué par Mediapart, elle considère que la rupture du contrat de travail « est entaché[e] de nullité » et ordonne donc le retour du trentenaire à son point de départ.

Selon la justice, la RATP a « privé le salarié de son droit au recours effectif à un juge » et porté « atteinte à une liberté fondamentale »

Embauché en 2008 comme chauffeur de bus à la RATP, Marc avait manifesté le souhait, neuf ans après, d’intégrer le service de sécurité de l’entreprise. La direction avait alors demandé au ministère de l’intérieur une enquête sur lui, comme l’y autorisent plusieurs textes adoptés après les attentats de 2015 en Ile-de-France.

Les sociétés de transport ont, en effet, la possibilité de contrôler le pedigree de personnes qui désirent travailler chez elles ou de salariés déjà en poste qui veulent changer d’affectation. Le but est de s’assurer que le comportement des intéressés « n’est pas incompatible avec [les] fonctions (…) envisagées ». Réservées à certains métiers sensibles, ces vérifications sont réalisées en consultant – entre autres – des fichiers policiers, qui ratissent large : y figure le nom d’individus soupçonnés de radicalisation religieuse ou ayant fréquenté des groupes politiques situés aux deux extrémités de l’axe gauche-droite.

A l’issue de ses recherches, le ministère de l’intérieur avait émis à l’égard de Marc un « avis d’incompatibilité » non motivé. La RATP s’en était prévalue pour congédier son chauffeur de bus. Ce faisant, elle a méconnu les règles, aux yeux de la cour d’appel : Marc aurait dû se voir remettre un avis d’incompatibilité motivé, avec la possibilité de contester celui-ci devant le tribunal administratif. Tel n’a pas été le cas. La RATP a « privé le salarié de son droit au recours effectif à un juge » et porté « atteinte à une liberté fondamentale ».

Sollicitée par Le Monde, la RATP indique qu’elle examine les « conséquences » de cette décision sur ses « procédures internes » tout en assumant le fait d’avoir remercié Marc, au nom de sa « mission de service public » et des « enjeux de sécurité publique ». Plusieurs autres litiges du même type opposent la société de transport à d’ex-salariés – dont le patronyme suggère qu’ils sont issus de l’immigration (ce qui n’est pas le cas de Marc). Ces différends ont également été portés devant la justice.

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