Afin de garantir une « procédure objective et équitable », l’enquête ouverte vendredi 10 mai et visant le procureur général suise, Michael Lauber, sera effectuée par un « expert externe ». / DENIS BALIBOUSE / REUTERS

La justice suisse a ouvert, vendredi 10 mai, une « enquête disciplinaire » à l’encontre du procureur général helvétique, Michael Lauber, qui est en charge des enquêtes sur le scandale de corruption (pots-de-vin versés en échange de droits médiatiques et de marketing ou pour l’attribution de la Coupe du monde) à la Fédération internationale de football (FIFA).

Cette enquête « aura pour objet d’éclaircir, sous l’angle du droit disciplinaire, d’éventuelles violations des devoirs de fonction du Procureur général de la Confédération dans le cadre du complexe procédural FIFA », a expliqué l’Autorité de surveillance du parquet suisse (AS-MPC).

Ces « éventuelles violations des devoirs » font référence à une rencontre non officiellement déclarée entre M. Lauber et le président de la FIFA, Gianni Infantino, révélée par les médias suisses et qui avait conduit l’AS-MPC à lancer, le 25 avril, une enquête préliminaire.

Afin de garantir une « procédure objective et équitable », l’enquête ouverte vendredi sera effectuée par un « expert externe » dont le nom sera communiqué ultérieurement, a précisé l’AS-MPC.

  • Qui est M. Lauber ?

Le procureur général du ministère public de la Confédération helvétique (MPC) a mené, en 2015 en concertation avec Loretta Lynch, alors ministre de la justice aux Etats-Unis, une perquisition au siège de la FIFA en Suisse. Celle-ci faisait suite à un raid anticorruption mené, en juin de la même année, par la justice américaine et ayant conduit à l’arrestation de dirigeants de la FIFA à l’hôtel Baur au lac de Zurich.

M. Lauber a initié une vingtaine d’enquêtes en lien avec le « FIFAgate » : des procédures pénales ont notamment été ouvertes, en septembre 2015, contre l’ex-président suisse de la FIFA (1998-2015), Sepp Blatter, et en mars 2016, contre son ancien secrétaire général français (2007-2015), Jérôme Valcke.

A la suite d’une plainte déposée par la FIFA, en novembre 2014, le procureur s’est par ailleurs penché sur l’attribution controversée des Coupes du monde 2010 (Afrique du Sud), 2018 (Russie) et 2022 (Qatar). Une enquête a également été ouverte sur la désignation de l’Allemagne comme pays hôte du Mondial 2006. A ce jour, le MPC a relevé « 180 rapports d’activités financières suspectes ».

  • Pourquoi le procureur est-il visé par une enquête ?

Parce qu’il a rencontré secrètement, en juin 2017, Gianni Infantino, patron de la FIFA depuis 2016. Or, en novembre 2018, M. Lauber n’avait pas mentionné cette entrevue lors de son audition par l’AS-MPC. A la suite des révélations des « Football Leaks », le procureur suisse était alors entendu pour deux rencontres informelles avec M. Infantino.

A la demande de la FIFA, partie civile dans les procédures en cours, un premier rendez-vous a eu lieu dans un hôtel bernois le 22 mars 2016, cinq jours après l’ouverture d’une procédure pénale contre Jérôme Valcke. « Un échange direct avec des parties à la procédure est tout à fait possible », s’est depuis justifié le MPC.

Ami d’enfance de M. Infantino et premier procureur du Haut-Valais, Rinaldo Arnold a organisé cette première rencontre. Soupçonné « d’acceptation d’avantages » et « éventuellement [de] corruption passive », M. Arnold a été « blanchi », le 10 avril, par le procureur extraordinaire Damian K. Graf, nommé par le ministère public du canton du Valais.

Une deuxième rencontre entre MM. Infantino et Lauber a eu lieu le 22 avril 2016, à Zurich. Outre le chef de la division criminalité économique du parquet suisse, Olivier Thormann (suspendu par le MPC avant de quitter son poste en novembre 2018), Marco Villiger, alors directeur juridique de la FIFA, a également assisté à ce rendez-vous.

Quinze jours plus tôt, le MPC avait perquisitionné le siège de l’Union des associations européennes de football (UEFA) à Nyon. Le patronyme de M. Infantino venait d’être cité dans les « Panama Papers », qui ont révélé un contrat douteux pour les droits audiovisuels, signé par M. Infantino, à l’époque directeur de la division des affaires juridiques de l’UEFA.

Le bureau du procureur fédéral a ensuite ouvert une enquête contre X. En janvier 2018, le MPC a rendu une ordonnance de non-lieu dans l’affaire du contrat de télévision douteux.

  • Comment M. Lauber justifie-t-il ces rencontres ?

M. Lauber a expliqué, en novembre 2018 à l’AS-MPC, que « ce type de rencontres avec les parties plaignantes est normal et régulier, notamment dans les affaires complexes ».

Dans son rapport annuel d’activité, présenté fin avril, l’AS-MPC a légitimé les deux premiers rendez-vous entre MM. Lauber et Infantino. Elle a souligné que « le simple fait que deux rencontres aient eu lieu n’est pas problématique » car celles-ci « visaient en effet, dans le cadre d’une procédure extrêmement complexe, d’une part à faire le point après le changement de président de la plaignante (la FIFA) et d’autre part, à régler des questions de procédure relatives à la volonté de coopérer de la FIFA dans le cadre de la remise de documents internes. »

L’Autorité a demandé qu’à l’avenir ce genre de rencontres fassent l’objet d’un « procès-verbal ».