Les protestations se succèdent, vendredi 10 mai, après la révélation du fichage de personnalités par l’agrochimiste Monsanto, et plusieurs médias ont d’ores et déjà annoncé leur intention d’engager des procédures contre le groupe américain.

Jeudi, Le Monde et France 2 ont révélé qu’un cabinet de lobbying mandaté par l’agrochimiste américain Monsanto avait fiché illégalement 200 personnes en fonction de leurs positions sur le glyphosate, entre « alliés », « alliés potentiels à recruter », « parties prenantes à éduquer », « parties prenantes à surveiller ». Parmi elles, près de la moitié sont des journalistes, les autres des responsables politiques, des syndicalistes et des organisations non gouvernementales (ONG).

Le quotidien Le Parisien-Aujourd’hui en France, dont trois journalistes figurent dans le fichier, a annoncé qu’il allait saisir la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL).

« Utilisation frauduleuse des données personnelles »

Radio France a aussi dénoncé dans un communiqué ce « type de fichage (…) avec la plus grande fermeté ». Le groupe public a annoncé préparer « aux côtés de ses journalistes » – six d’entre eux se trouvent dans les documents une action en justice « afin qu’une enquête détermine clairement toutes les responsabilités ».

Le Monde et Stéphane Foucart, journaliste au service Planète cité dans le fichier, ont, eux, porté plainte contre X, le 26 avril.

L’ONG Foodwatch a également annoncé qu’elle portait plainte, après avoir appris que sa directrice générale, Karine Jacquemart, ainsi que la directrice de l’information de l’ONG, Ingrid Kragl, figuraient « sur la liste établie par un cabinet de lobbying mandaté par Monsanto ».

« Elles y sont mentionnées de façon nominative avec la note maximale pour leur opposition à la multinationale. Foodwatch va donc porter plainte auprès du procureur de la République du tribunal de grande instance de Paris », écrit l’association dans un communiqué, dénonçant « une utilisation frauduleuse de nos données personnelles ».

Bayer n’avait « pas connaissance » des fichiers

Le groupe chimique allemand Bayer, propriétaire depuis 2018 de Monsanto, a affirmé vendredi à l’Agence France-Presse qu’il n’avait « pas connaissance » de ces fichiers.

La direction de Bayer souligne que les fichiers incriminés dateraient de 2016, « date à laquelle Bayer et Monsanto étaient deux groupes indépendants l’un de l’autre ». « Comme nous n’en avions pas connaissance, il ne nous est pas possible d’y apporter des commentaires », ajoute la direction du groupe allemand, qui assure accorder « une importance capitale » au respect des lois et réglementations, notamment en matière de confidentialité des données.

Qui sont les « fichés » de Monsanto ?

Le « fichier Monsanto » est constitué de deux tableaux remplis de noms de personnalités, accompagnés d’une multitude de renseignements. L’ensemble comprend en tout plus de 200 noms.

Près de la moitié sont des journalistes. Y figurent la plupart des professionnels couvrant les questions environnement et agriculture pour les quotidiens, mais aussi ceux des agences de presse, des radios, des chaînes de télévision, le site « Pourquoi Docteur », des magazines comme Ça m’intéresse ou Sciences et Avenir, et des publications plus spécialisées comme Réussir Fruits & Légumes ou Semences et Progrès.

On y trouve également les noms de vingt-cinq « politiques » (ministres en place à l’époque de la constitution du fichier en 2016, eurodéputés et députés français). Ceux d’une trentaine de dirigeants d’organisations agricoles comme la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) ou la Confédération paysanne. Ou encore de dix-sept ONG, comme l’Association pour la promotion d’une agriculture durable, parmi lesquelles certaines sont spécifiquement étiquetées « anti-Monsanto » (La Ligue contre le cancer).

Le précédent Philip Morris

L’affaire du « fichier Monsanto » n’est pas sans précédent. En 2013, une fuite de documents internes avait révélé au grand jour les techniques de fichage de Philip Morris. Alors que Bruxelles discutait de la directive sur les produits du tabac, adoptée l’année suivante, le fabriquant des Marlboro avait lui aussi classé les eurodéputés en fonction d’un code couleur indiquant leur degré d’hostilité à la cigarette. Philip Morris avait déployé plus de 160 lobbyistes pour les démarcher, eux et les fonctionnaires de la Commission européenne en charge du dossier.