Livre. C’est une des plus grandes énigmes de la diplomatie internationale. Le 17 septembre 1961, en fin d’après-midi, le DC-6 Albertina décolle de Léopoldville (aujourd’hui Kinshasa) au Congo. Peu après minuit, l’appareil survole l’aéroport de Ndola en Rhodésie du Nord, l’actuelle Zambie. Puis plus rien. A 0 h 12, il disparaît des radars. Il vient de s’écraser à 18 kilomètres de là, avec à son bord seize passagers, dont le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (ONU), Dag Hammarskjöld.

Accident ou attentat ? Entre 1961 et 1962, trois enquêtes ont été menées par les autorités locales et l’ONU. La première conclut à l’erreur de pilotage. Les deux autres ne sont pas parvenues à déterminer les causes du crash. En 2016, sous la pression de Stockholm, l’ONU a décidé de rouvrir le dossier. Pour le journaliste Maurin Picard, installé à New York, c’est le début d’une longue enquête qui deviendra une obsession. Comme pour tous ceux qui ont tenté de percer le mystère avant lui.

Pour les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, « il fallait un fonctionnaire sans histoires, plus secrétaire que général »

C’est un récit palpitant que Maurin Picard propose dans Ils ont tué Monsieur H. Sa quête le mène à Bruxelles, Londres, Paris, Stockholm ou Hongkong. Le journaliste plonge dans les archives de l’ONU, celles de diplomates disparus, tente de démêler les fils de ce qui ressemble, à mesure qu’il progresse, à une énorme conspiration, à un « crime presque parfait ». Celui dont on ne peut exclure le fait qu’il ne soit finalement qu’une conjonction de coups du sort, en l’absence de preuves irréfutables.

L’enquête est semée d’embûches. De nombreux témoins sont morts. D’autres, âgés, ont la mémoire sélective, au point d’en devenir suspects. Au fil de ses recherches, Maurin Picard acquiert une conviction : des mercenaires européens, parmi lesquels un petit groupe de Français, ont joué un rôle déterminant dans la mort de « Monsieur H », avec la complaisance de la France.

« Une colombe face à des rapaces »

En 1953, c’est Paris, pourtant, qui avait suggéré le nom du Suédois pour le poste de secrétaire général de l’ONU. Pour les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, « il fallait un fonctionnaire sans histoires, un employé de bureau, plus secrétaire que général ». Mais les chancelleries occidentales déchantent rapidement : le diplomate, « au nom imprononçable et au regard bleu acier aussi acéré que son intelligence », est retors.

Il veut faire de l’ONU « un acteur à part entière de l’échiquier planétaire ». En pleine vague de décolonisation, « il souhaitait intervenir partout où se manifestait un vide du pouvoir, avant que les blocs antagonistes ne le comblent. Idéaliste pour les uns, messianique pour les autres, il croyait éveiller les consciences et expédier les pratiques coloniales aux oubliettes de l’histoire. Une colombe face à des rapaces ».

La liste de ses ennemis s’allonge. Diplomates occidentaux, affairistes, barbouzes. Des hommes qui veulent croire qu’ils peuvent encore contrôler le cours de l’histoire. Pour eux, à cette époque, la province du Katanga, dans le sud du Congo, est un champ de bataille où se joue l’avenir du colonialisme.

Onze jours après la déclaration d’indépendance du Congo, le 30 juin 1960, cette riche province minière, dirigée par Moïse Tshombe avec le soutien de l’ex-puissance coloniale belge, a fait sécession. Depuis, les affrontements avec les forces nationales congolaises font rage, au point que l’ONU a envoyé 15 000 casques bleus dans la région.

L’Union minière du Haut-Katanga, un groupe industriel belge, finance et arme les séparatistes. Paris n’est pas en reste. Dans le 16e arrondissement, « à deux pas du Trocadéro », la « mission permanente du Katanga » recrute des mercenaires. Des « affreux », tels Bob Denard, Roger Faulques ou Roger Trinquier, se font embaucher.

« Illégalisme d’Etat »

La France pratique alors l’« illégalisme d’Etat », en soutenant officieusement ces déçus de l’Algérie, sans l’admettre publiquement. A Paris, le général de Gaulle s’inquiète de l’interventionnisme de « Monsieur H », qui s’est révélé « plus général que secrétaire ». Le Suédois, lui, « n’a plus le moindre doute quant à la haine que lui voue le “grand Charles” ».

Le 13 septembre 1961, les troupes onusiennes ont lancé une opération pour mettre fin à la sécession. Alors que l’offensive est en train de virer au désastre pour l’ONU, Dag Hammarskjöld embarque, le 17 septembre, pour Ndola, où il doit ­négocier un cessez-le-feu avec Moïse Tshombe. L’Albertina a-t-il été abattu en vol, comme l’affirment les témoins, qui disent avoir vu un appareil le prendre en chasse ?

Au terme de son investigation, qui se lit comme un polar historique, le journaliste dévoile son intime conviction : le DC6 aurait été abattu par un Dornier, un petit avion bimoteur, piloté par l’Allemand Heinrich Schäfer, ancien aviateur de la Luftwaffe. Au sol, il aurait pu avoir le soutien du « crash group », composé de mercenaires français.

« Ce Cluedo géant n’est pas tout à fait terminé », écrit l’auteur. L’ONU et les capitales occidentales accepteront-elles un jour de déclassifier leurs archives et d’exposer leurs sombres secrets, au risque de déclencher « un tollé planétaire » et d’« altérer durablement les relations bilatérales et transversales entre Londres, Paris, Washington, Pretoria, Stockholm, Bruxelles et Berlin » ? Maurin Picard en doute.

« Ils ont tué Monsieur H. Congo, 1961. Le complot des mercenaires français contre l’ONU », de Maurin Picard, Seuil, 480 pages, 23 euros.