Des panneaux solaires de nouvelles génération sur le toit d’une maison. / Fabrice Poincelet/Onoky / Photononstop

Les escrocs du solaire n’auraient sans doute pas pu faire autant de victimes chez les consommateurs, si leurs partenaires, les sociétés de crédit, avaient été plus prudentes dans le déblocage de leurs fonds. Les fautes de ces dernières sont de plus en plus souvent sanctionnées par la justice, comme le montre l’affaire suivante : le 27 juillet 2011, un agriculteur, Aimé Marc, démarché à son domicile par un commercial de E Solaire, signe un bon de commande pour l’installation de panneaux photovoltaïques. Le coût, de 14 000 euros, doit être financé par un crédit affecté de la société Sofemo, au taux d’intérêt de 5,44 %.

Attestation de livraison

Le 12 août 2011, soit dix-sept jours plus tard, sous la pression du commercial d’E Solaire – qui le reconnaîtra devant le tribunal –, Aimé signe un document intitulé « attestation de livraison et demande de financement », ainsi libellé : « Je confirme avoir obtenu sans réserve la livraison des marchandises. Je constate expressément que tous les travaux et prestations qui devaient être effectués à ce titre ont été pleinement réalisés. En conséquence, je demande à Sofemo de bien vouloir procéder au décaissement de ce crédit et d’en verser directement le montant entre les mains de la société E Solaire ». Les 14 000 euros sont alors transférés de Sofemo à E Solaire.

Pourtant, les panneaux photovoltaïques ne produisent pas d’électricité : un expert de la société Greenkraft, auquel Aimé fait appel, constate un défaut de raccordement à ERDF. Mais, en dépit des relances et des mises en demeure, E Solaire ne répond plus. Le 25 mai 2012, elle est placée en liquidation judiciaire, et Aimé décide de suspendre les paiements de son emprunt.

Déblocage prématuré

Lorsque Sofemo l’assigne devant le tribunal d’instance de Tarascon (Bouches-du-Rhône), il demande l’annulation de son contrat de vente, du fait de sa non-conformité aux dispositions du code de la consommation, et celle, subséquente, de son contrat de crédit. Il ajoute que Sofemo a « commis une faute » en débloquant les fonds avant de s’être assurée que l’installation marchait.

En effet, il résulte d’une jurisprudence bien établie que le prêteur ne peut délivrer les fonds au vendeur, sans s’être assuré que celui-ci a bien exécuté son contrat. Et que c’est seulement à compter de cette exécution complète que les obligations de l’emprunteur prennent effet. Si le prêteur délivre les fonds de manière prématurée, il commet une faute qui le prive de la possibilité de réclamer à l’emprunteur le remboursement du capital.

Délai trop bref

Sofemo répond que c’est Aimé qui a commis une faute, en signant l’attestation, qui était « mensongère ». Il s’agit là d’une réplique bien rodée, les sociétés de crédit estimant que la signature de l’attestation de livraison les dédouane de toute responsabilité.

Le tribunal d’instance de Tarascon (Bouches-du-Rhône), qui statue le 24 septembre 2015, considère que « même si la négligence d’Aimé Marc est manifeste », Sofemo « devait s’interroger sur le délai particulièrement bref (17 jours) séparant la signature du contrat de l’attestation », celui-ci étant « manifestement incompatible avec la complète réalisation de l’opération financée (livraison, obtention de la déclaration préalable de travaux, pose et installation des panneaux et de l’onduleur, raccordement au réseau ERDF) ». Le tribunal juge que Sofemo a commis une « négligence » qui la prive du droit à prétendre au remboursement du capital prêté.

Remboursement du capital

La société Cofidis, qui vient aux droits de Sofemo après une fusion absorption, fait appel. Elle affirme qu’Aimé ne peut lui reprocher d’avoir débloqué les fonds sur la base d’une attestation qu’il a signée et qui certifiait que l’installation avait été livrée et complètement exécutée : en effet, M. Marc « n’a pu se méprendre sur le sens de la portée de cette attestation, compte tenu des termes clairs, précis et dépourvu d’ambiguïté qu’elle contient ».

La cour d’appel d’Aix-en-Provence, qui statue le 15 novembre 2016, admet que « le délai de dix-sept jours n’était pas une présomption suffisante pour se convaincre de l’impossibilité de réaliser l’opération ». Elle juge que la société Sofemo « n’a pas commis de faute lors du déblocage des fonds ». Elle condamne Aimé à lui payer « la somme principale augmentée des intérêts », soit 15 358 euros, alors même que ses panneaux ne produisent toujours pas d’électricité, et ne lui permettent pas d’engranger les sommes promises à l’achat. Malade et ainsi placé dans une situation dramatique, il se suicide.

Exécution du contrat principal

Le fils d’Aimé, Olivier-Pierre, se pourvoit en cassation, en faisant appel à la SCP de Nervo et Poupet. Son avocat soutient que la cour d’appel n’a pas justifié sa décision au regard de l’article 1147 (ancien) du code civil aux termes duquel « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution… » Il estime que la cour d’appel aurait dû chercher à savoir si la simple attestation de livraison signée par Aimé permettait à Sofemo de s’assurer que le contrat principal avait été parfaitement exécuté. La Cour de cassation lui donne raison, le 6 juin 2018 (17-10399). Elle casse et annule l’arrêt, en ce qu’il juge que Sofemo n’a pas commis de faute, et renvoie les parties devant la cour d’appel de Montpellier.

Notons que, lorsque la Cour de cassation statue sur l’affaire Marc, elle s’est déjà prononcée sur des litiges liés aux attestations de livraison. Le 10 septembre 2015, dans un arrêt « Neveu » (14-13658) largement diffusé, elle a rejeté un pourvoi de Sofemo contre une décision d’appel qui avait conclu à l’existence d’une faute, « après avoir constaté que l’ambiguïté de l’attestation de livraison, jointe à la demande de financement, ne permettait pas de se convaincre de l’exécution du contrat principal ». Le 10 décembre 2014, la Cour avait déjà rejeté deux pourvois de Sofemo, dans des affaires « Ortega » (13-22679) et « Cibella » (13-22674), contre des arrêts d’appel qui jugeaient les attestations de livraison insuffisamment précises.

Manque de précision

La cour d’appel de Montpellier, qui rejuge l’affaire Marc le 23 janvier 2019, constate que
« l’attestation ne contient aucune information nécessaire à l’identification de l’opération financée » : « Elle ne fait état, de manière générale que de“la livraison des marchandises”, sans préciser lesquelles, alors même que le caractère imprécis du bon de commande, qui ne mentionne ni le nombre ni le modèle de panneaux, ne pouvait que conduire le prêteur à la prudence et lui imposait en conséquence de parfaire son information ». Comment savoir, dans ce cas, si E Solaire a bien livré tel ou tel panneau ?

La cour constate que « l’attestation vise “tous les travaux et prestations qui devaient être effectués”, sans davantage de précision ». Comment savoir, dans ce cas, si E Solaire a bien installé les panneaux, posé l’onduleur, et fait auprès de la mairie la déclaration d’achèvement et de conformité des travaux à l’installation préalable, qui permet sa reconnaissance légale ?

La cour estime que « Sofemo, coutumière du financement des installations produisant de l’énergie électrique d’origine photovoltaïque, et avertie en conséquence des phases du déroulement d’une telle opération, ne pouvait ignorer les délais engendrés par les démarches administratives et les raccordements électriques à la charge du vendeur… » Or, « l’ensemble ne pouvait être sérieusement réalisé dans le délai de quinze jours séparant la date de signature des contrats de celle de l’attestation, qui plus est en période de vacances estivales, cette chronologie privant de toute crédibilité l’exécution effective de l’ensemble des prestations convenues ».

La cour conclut qu’« en se contentant, pour libérer l’ensemble des fonds au profit du vendeur, d’une attestation ne pouvant sérieusement faire la preuve de la complexité de l’installation (…) la SA Sofemo a commis une négligence fautive qui la prive du droit de réclamer à l’emprunteur le remboursement des sommes versées ». Aimé peut reposer en paix.