Wajdi Mouawad ne recule devant rien, même pas à un départ en fusée pour l’espace. / D.R.

On le sait, tout peut arriver dans l’étude d’un notaire. C’est là que dorment des secrets bien gardés, dont la révélation, à l’ouverture de testaments, peut déclencher des séismes. Wajdi Mouawad s’appuie sur cet attendu pour donner le coup d’envoi de sa nouvelle pièce, Fauves. Un homme proche de la cinquantaine, dont la mère est morte, heurtée par un camion, apprend d’un notaire :

1. Que sa mère était mariée deux fois, la première au Canada, la seconde en France, sans avoir divorcé : légalement, elle était donc bigame.

2. Que son père officiel n’était pas son père biologique.

Cela peut sembler beaucoup, mais ce n’est rien au regard de ce que Wajdi Mouawad en tire : un feuilleton de quatre heures qui nous mène d’Europe en Amérique en passant par le Kazakhstan, et nous entraîne dans une histoire où se retrouvent tous les ingrédients (inceste, viol, enfants échangés, meurtre, trahison, suicide...), tous les sentiments (révolte, amour, peur, angoisse, haine, pardon), et tous les contextes (tournage de film, maison de retraite, aéroport, ONG en Syrie...) qui se peuvent imaginer quand, comme l’auteur de Fauves, on ne recule devant rien, même pas à un départ en fusée pour l’espace.

Flash-back et ellipses

Wajdi Mouawad manie les flash-back et les ellipses. Il fait jouer une scène, passe à une autre puis revient à la première, augmentée. Ce procédé s’accommode bien de la fluidité des décors, qui se composent et se décomposent en un tour de main ; il sert aussi à aiguiser la curiosité des spectateurs dont certains, à l’entracte, font des pronostics sur la suite de l’histoire, comme ils le feraient entre les épisodes d’une série.

Mais voilà : comme tout procédé, celui de Fauves a ses limites. Wajdi Mouawad l’use à trop l’utiliser et il tire si fort sur les fils de l’histoire qu’il atteint des invraisemblances et des outrances propres à faire rire quand on ne devrait pas, comme dans les romans où tout finit bien, après une avalanche inénarrable de malheurs.

Dans Fauves, tout finit d’ailleurs bien. Wajdi Mouawad a l’esprit œcuménique et l’espoir chevillé au corps. On ne le lui reprochera pas, et on saluera sa capacité à réunir des comédiens qui ont une belle humanité, immédiate, efficace et sans chichi.

Le problème est que ces derniers n’ont pas un texte à la hauteur de Tous des oiseaux – incontestable réussite de Wajdi Mouawad. Ils doivent composer avec une variation sur la violence du refoulé – un sujet du moment, décidément – si appuyée que parfois on a envie de dire : « Stop, c’est bon. » Ainsi va la vie d’un auteur : avec des hauts, et des bas. Reste l’espoir que cette création du directeur du Théâtre national de la Colline se bonifie au cours des représentations, qui courent jusqu’au 21 juin.

Fauves, de et mis en scène par Wajdi Mouawad. Avec Ralf Amoussou, Lubna Azabal, Jade Fortineau, Hugues Frenette, Julie Julien, Reina Kakudate, Jérôme Kircher, Norah Krief, Maxime Le Gac-Olanié, Gilles Renaud, Yury Zavalnyouk. Théâtre national de la Colline, 15, rue Malte-Brun, Paris 20e. M° Gambetta. Tél : 01-44-62-52-52. colline.fr