Le peintre ghanéen Ablade Glover dans son atelier de l’Artists Alliance Gallery, à Accra, le 11 décembre 2018. / CRISTINA ALDEHUELA / AFP

Frances Ademola est une institution au Ghana. La petite femme de 91 ans, au dos légèrement voûté et qui porte le cheveu court en bataille, a ouvert la première galerie d’art du pays. C’était en décembre 1969. A cette époque, le Ghana venait de vivre sa première décennie d’indépendance. « Au début, il n’y avait pas beaucoup d’artistes ghanéens et ils avaient peur de s’affranchir des schémas traditionnels », témoigne-t-elle.

Frances Ademola a installé sa galerie, The Loom, non loin de Circle, la plus grande gare routière de la capitale, Accra. A côté de ce pandémonium fait de klaxons et d’embouteillage, le lieu fait office de refuge. Dans un petit bâtiment de deux étages, la nonagénaire expose de jeunes artistes. Sur les murs, des tableaux aux couleurs bigarrées, avec une préférence pour le rouge, le jaune et le bleu, représentent les anciens forts d’esclaves qui bordent l’océan Atlantique.

« Depuis plusieurs années, il y a un engouement pour l’art contemporain ghanéen. Auparavant, les artistes représentaient surtout des marchés ou des ports, ce qui était plutôt ennuyeux. Depuis les années 1970, de plus en plus se tournent vers l’art abstrait et cela a dynamisé le marché », souligne la galeriste. La majorité des toiles sont achetées par des étrangers et les prix de certaines œuvres peuvent rapidement s’envoler.

En 2017, un tableau de l’artiste britanico-ghanéenne Lynette Yiadom-Boakye a ainsi été vendu par Sotheby’s pour 1,5 million de dollars (environ 1,25 million d’euros à l’époque). Intitulée The Hours Behind You, la toile représente cinq femmes qui dansent en robes blanches sur fond noir. « Il n’y a pas d’agressivité dans l’art ghanéen. C’est un reflet de notre histoire et je pense que cela contribue à son attrait », analyse Frances Ademola.

Sculptures en acacia

« Nous avons une histoire récente assez pacifique, comparée par exemple au Nigeria, et cela se ressent dans notre art », confirme Frederick Oko-Matey. Cet artiste sexagénaire a installé son atelier à Tesano, un quartier du nord d’Accra, où il réalise des sculptures à partir de bois d’acacia. Ses œuvres, qui mesurent généralement plus de deux mètres, représentent surtout des femmes nues. Certaines de ses réalisations se vendent plusieurs milliers d’euros, sans compter les frais de port pour les acheminer en Allemagne, aux Etats-Unis ou au Nigeria, d’où viennent la majorité de ses clients.

S’il utilise aujourd’hui les réseaux sociaux pour vendre ses œuvres qui « partent en quelques heures », Frederick Oko-Matey est auparavant passé par l’Artists Alliance Gallery, la plus renommée du pays. Située à Labadi, un quartier bordé par l’océan, elle accueille les touristes depuis vingt-six ans et a permis de faire connaître de nombreux artistes. A sa tête, le peintre Ablade Glover se fait l’ardent défenseur de l’art local. Est-il capable de reconnaître un artiste ghanéen par rapport à un autre du continent ? « La peinture c’est comme la musique, il y a un rythme. Et je suis capable au premier coup d’œil de reconnaître le rythme ghanéen », assure-t-il dans un large sourire.

Dans sa galerie sont exposées de nombreuses œuvres d’El Anatsui, un des artistes les plus renommés du pays, connu pour ses immenses structures faites de capsules de bouteilles. En 2007, il a notamment participé à la Biennale de Venise. Dans l’Artists Alliance Gallery, ses réalisations se négocient autour de 80 000 cédis (environ 13 750 euros). Un prix susceptible d’attirer non seulement des collectionneurs étrangers mais aussi, de plus en plus, des acheteurs locaux. Le Ghana a en effet connu ces dernières années l’une des plus fortes croissances du continent et vu l’émergence d’une classe sociale capable d’acquérir des œuvres d’art de plusieurs milliers d’euros.