Les deux otages français libérés au Burkina Faso par les forces spéciales, dans la nuit du jeudi 9 au vendredi 10 mai, lors d’une opération qui a coûté la vie à deux militaires français, effectuaient un safari au Bénin avant d’être enlevés, suscitant des questions sur les risques qu’ils ont pu prendre. Voici ce que l’on sait.

Patrick Picque et Laurent Lassimouillas effectuaient un séjour touristique au Bénin dans le parc de la Pendjari, l’un des derniers sanctuaires de la vie sauvage en Afrique de l’Ouest, qui s’étend dans le nord du Bénin sur 5 000 km2 le long de la frontière avec le Burkina Faso.

Attendus dans la soirée du 1er mai au lodge où ils séjournaient, ils n’étaient pas revenus. Le corps de leur guide béninois, Fiacre Gbédji, avait été retrouvé, très abîmé, le 4 mai dans le parc, laissant de plus en plus craindre un enlèvement.

Les deux touristes seront libérés une semaine plus tard par les forces spéciales françaises en même temps qu’une Sud-Coréenne et une Américaine qui étaient captives depuis vingt-huit jours. Deux soldats ont perdu la vie au cours de l’opération.

  • En quelle couleur de risque le parc était-il classé ?

Le ministre français des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a jugé que les deux hommes avaient pris des « risques majeurs » en se rendant dans une « zone considérée depuis pas mal de temps comme une zone rouge », c’est-à-dire « formellement déconseillée ».

L’un des deux ex-otages, Laurent Lassimouillas, a concédé samedi, à leur retour en France, qu’ils auraient dû « prendre davantage en compte les recommandations de l’Etat ».

Le Bénin, longtemps épargné par le terrorisme, faisait figure de havre de paix en Afrique de l’Ouest, où prolifèrent les groupes armés. Mais la menace djihadiste venue du Sahel plane de plus en plus sur les pays riverains du Sud.

La zone frontalière du parc de la Pendjari, limitrophe du Burkina, avait été classée le 10 décembre 2018 par le quai d’Orsay zone rouge, et le reste du parc, dont le Pendjari Lodge où séjournaient les Français, zone orange, c’est-à-dire « déconseillée sauf raison impérative ». Mais, si les deux touristes ont planifié leur voyage avant cette date, toute la zone était en jaune, comme le reste du pays.

Quant au lodge n’a été placé en zone rouge qu’après le rapt et la libération. Le ministère des affaires étrangères diffuse alors une nouvelle carte et des consignes mentionnant explicitement le parc de la Pendjari.

« La carte change le 10 mai, compte tenu de cette séquence (l’enlèvement) et d’une meilleure compréhension de ce qu’il s’est passé. Le parc passe alors intégralement en rouge », a confirmé à l’AFP Eric Chevallier, directeur du Centre de crise et de soutien du Quai d’Orsay. Mais, rappelle le responsable, même s’il ne s’agit que d’une zone orange, cela signifie qu’elle est « déconseillée sauf raison impérative. Or le tourisme n’en fait pas partie ».

  • Une incursion en zone dangereuse ?

Il semble que les touristes français se soient rendus en véhicule tout-terrain dans une zone plus proche de la frontière burkinabée, classée en zone rouge, a indiqué à l’AFP un responsable d’African Parks Network (APN), l’ONG gestionnaire de la Pendjari, sous couvert d’anonymat.

« Ils ont séjourné au Penjari Lodge. Ils ont fait leur safari avec leur guide dans une zone frontalière entre le Bénin et le Burkina », a indiqué cette source.

Le lieu de l’enlèvement des otages n’est pas officiellement connu, mais M. Chevallier a indiqué que leur voiture et le chauffeur tué ont été retrouvés tout près de la frontière, « en zone rouge ». Ce qui ne signifie pas forcément qu’ils ont été enlevés là, ils ont pu l’être avant.

  • Peut-on circuler en zone rouge ?

Le classement en zone rouge n’entraîne aucune interdiction de circulation, mais les agences de voyages françaises « n’organisent pas de circuits dans les zones rouges et orange », a déclaré à l’AFP leur représentant, Jean-Pierre Mas.

Mais rien n’empêche un touriste de s’y rendre par ses propres moyens, ce qui explique que les guides locaux continuent d’y effectuer des safaris.

« Le fait que la zone ait été mise en alerte rouge signifiait pour nous qu’il y avait un risque à s’y aventurer avec les touristes », explique tout de même à l’AFP Adamou Akpana, président de l’Union des guides et transporteurs de touristes de la Penjari. Mais « le parc n’a pas fait d’interdiction formelle, ajoute-t-il. Malgré l’alerte, nous la fréquentions mais avec plus d’attention et de précautions. »

Jean-Yves Le Drian n’exclut pas de « durcir la réglementation », ce qui pourrait se traduire par le classement de plus de zones orange en rouge, afin de dissuader les voyageurs de s’y rendre.

Un choix contesté par M. Mas pour qui classer davantage de zones comme « à risques » dans les conseils aux voyageurs du ministère des affaires étrangères a des effets pervers : « Revenir à la politique du ceinture et bretelles d’il y a cinq ou six ans, où dès qu’il y avait un risque dans un pays comme l’Egypte, il était classé totalement en zone rouge n’est pas une bonne solution. » Les avis du Quai d’Orsay sont « souvent bons », « mais ils ne sont pas infaillibles et personne ne peut le leur reprocher, estime de son côté Jean-François Rial, PDG de Voyageurs du monde. On est dans une société qui refuse l’aléa, le risque, et veut toujours trouver un responsable. »