Le parcours de l’Ajax Amsterdam en Ligue des champions aura aussi consisté en une tournée d’exhibition de joueurs prometteurs, appelés à partir à brève échéance. / ALBERTO LINGRIA / REUTERS

D’improbables remontées au score, des dénouements extraordinaires, des outsiders à la fête : le millésime 2018-2019 de la Ligue des champions est d’ores et déjà exceptionnel, en attendant son dénouement entre Liverpool et Tottenham, le 1er juin à Madrid. « Exceptionnel » est cependant le terme à retenir pour éviter que la grande lessiveuse des émotions ne blanchisse la vérité de la compétition reine.

Quelques semaines après l’élimination sensationnelle du PSG par Manchester United, les deux soirées européennes de la semaine passée ont suscité d’enthousiastes (et légitimes) célébrations des incomparables ressources dramaturgiques du football.

Il serait toujours ce sport où « tout est possible » jusqu’à la dernière minute, où tout peut « basculer sur des détails » – coup de génie ou coups de patte de joueurs aussi dévalués que Lucas Moura et Divock Origi. Cet éloge de l’aléa sportif va-t-il jusqu’à considérer que le faible peut encore battre le fort ?

Les Spurs, riches outsiders

Il est tentant de croire que l’incertitude est préservée dans le football européen, et que les beaux projets sportifs peuvent être récompensés. De fait, la cohérence collective et l’envie montrées par Tottenham et l’Ajax ont de quoi fait rougir des équipes qui ont exposé sur le terrain des limites que ne connaissent pas leurs budgets.

Tottenham, qui n’a plus été champion d’Angleterre depuis 1961, a peu recruté ces dernières saisons, et doit beaucoup à son entraîneur Mauricio Pochettino. Cette austérité relative est toutefois due à la construction d’un nouveau stade, tout juste inauguré, pour un coût annoncé de 1,2 milliard d’euros. Cette année, les Spurs sont entrés dans le top 10 des clubs les plus riches du monde, selon le cabinet Deloitte.

Le divin parcours de l’Ajax Amsterdam, tombeur du Real Madrid et de la Juventus, a également été salué, pas seulement pour ce qu’il réveille de nostalgie. Une génération remarquable a témoigné autant de la qualité de la formation locale que de principes de jeu réjouissants.

Mais ce parcours aura aussi consisté en une tournée d’exhibition de joueurs prometteurs, appelés à partir à brève échéance. Dès janvier, le FC Barcelone officialisait le transfert de Frenkie de Jong, et il tente maintenant d’obtenir celui de Matthijs de Ligt.

Relégation économique

En 2017-2018, les revenus du FC Barcelone ont été estimés à 690 millions d’euros, ceux de l’Ajax à 92 millions – presque huit fois moins. Qui se souvient que lorsque ce dernier remportait sa quatrième C1 en 1995, le Barça n’en comptait qu’une à son palmarès ?

Le modèle amstellodamois implique la vente précoce des meilleurs joueurs contre d’importantes indemnités, mais avec l’obligation de se reconstruire en permanence sportivement – tandis que les grosses écuries enrichissent leurs effectifs sans entamer leur suprématie financière.

Il aura donc fallu un alignement de planètes rare pour que le club complète un cycle déjà marqué par sa finale (perdue) de Ligue Europa en 2017, et connaisse… sa première demi-finale de Ligue des champions depuis vingt-deux ans.

L’Ajax n’a pas repris sa place dans l’élite, il y a passé une tête pour se la faire couper. Le quadruple vainqueur de la C1, fondateur historique d’une école de football, a été victime d’une relégation économique en deuxième division européenne, où il est voué à servir de vivier à l’élite.

« Glorieuse imprévisibilité »

Le parcours de l’Ajax cette saison est l’exception qui confirme la règle de la mainmise des clubs riches sur la Ligue des champions. Chaque année, un ou deux non-membres du top 20 économique accèdent aux quarts de finale : au cours des six dernières éditions, Porto, Wolfsburg, Benfica, Leicester, Monaco, Séville et donc Amsterdam.

En guise de surprise, la finale 2019 opposera des clubs « seulement » septième et dixième au classement des clubs les plus riches. Ces minces concessions semblent pourtant devenues intolérables.

Aleksander Ceferin, président de l’UEFA, a eu l’aplomb de saluer les qualifications de Liverpool et Tottenham comme une célébration de la « glorieuse imprévisibilité » du football, alors qu’il négocie avec un cartel de clubs la fermeture de la future Ligue des champions.

Tel est le sens que l’oligarchie du football veut donner à l’aléa sportif, auquel elle veut encore davantage le limiter : il ne peut y avoir d’incertitude qu’en son sein, dans les tours finaux de la Ligue des champions.

Les spectaculaires matches à renversements leur seront d’autant mieux réservés que des clubs comme l’Ajax seront repoussés un peu plus loin du cénacle.